Assises nationales de la sobriété foncière
Les géomètres-experts au cœur de la transformation
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
Les solutions proposées pour mettre en œuvre une trajectoire de sobriété foncière
• Séance 3
• Multiplex depuis Fort-de-France
• Jeudi 4 juillet, 14h30
Les géomètres-experts sont au cœur de l’enjeu central de la sobriété foncière, en appliquant l’objectif de «faire la ville sur la ville». Au quotidien, la question de la limitation de l’artificialisation des sols est devenue une réelle opportunité pour travailler autrement. Quelle est donc l’influence du ZAN sur leurs pratiques professionnelles? Quelles sont leurs propositions pour optimiser les fonciers? Le changement de paradigme engendré par la sobriété foncière doit constituer une opportunité pour réapprendre à aménager un cadre de vie «qui serait à la fois désirable, divers et durable», estime Vincent Roth, géomètre-expert et président de la séance locale d’Epernay. «Réaliser des projets de densification douce mais aussi limiter la consommation des espaces naturels engendrent un urbanisme de concertation. Il faut casser les silos. Les géomètres-experts sont des acteurs incontournables pour mener à bien ces restructurations foncières», considère pour sa part son confrère Bertrand Warin, président de la séance locale d’Aix-en-Provence.
Une vision plus sensible et territorialisée
C’est pourquoi la profession doit se diversifier et se spécialiser sur des enjeux d’aménagement foncier. Ceux-ci représentent déjà aujourd’hui la deuxième activité des géomètres-experts. Si la trajectoire de sobriété foncière obéit à des objectifs nationaux établis dans le cadre du ZAN, les professionnels de la mesure sont confrontés à des problématiques différentes selon leur implantation. Pour Claude Barneron, président de la commission urbanisme de l’OGE, «le ZAN pose sur la France un quadrillage avec des objectifs globaux alors qu’il faudrait une vision plus sensible et territorialisée». C’est ainsi qu’en zone littorale, la gestion du recul du trait de côte est devenue un enjeu majeur pour les collectivités locales mais aussi pour les géomètres-experts. Cette réalité sur les côtes de l’Hexagone est d’ailleurs maintenant intégrée aux objectifs du ZAN. «Cette question concerne la solidarité nationale, note toutefois le géomètre-expert Fabien Palfroy, président de la séance locale de La Rochelle. Comment peut-on financer la gestion de l’érosion côtière, qui reste aujourd’hui sous-estimée?»
La trajectoire ZAN impose de repenser le droit à construire. © saravut / Adobe Stock
Trouver une harmonie
L’application du ZAN paraît complexe et sert parfois des intérêts contradictoires. «La loi surprotège des espaces agricoles qui ont un sol très pauvre dû à l’emploi des pesticides. En ce sens, elle est contreproductive, car elle ne va pas dans le sens de l’intérêt général, qui est au cœur de notre profession. Face aux impératifs de densification urbaine, source d’opposition de la part des habitants mais aussi de maintien des espaces naturels, nous devons trouver une harmonie», affirme Claude Barneron. Le fait que les géomètres-experts travaillent en équipe pluridisciplinaire, avec des urbanistes, des paysagistes et des écologues, doit permettre de surmonter les potentiels conflits engendrés par l’application de la trajectoire ZAN. Ils se posent en effet comme des acteurs indispensables pour gérer les tensions foncières et les problèmes de servitude. «Ils pourront ainsi prévenir les conflits et contribuer à un cadre urbain durable. En ce sens, ces Assises sont le catalyseur d’une vision plus positive de la sobriété foncière», note avec optimisme Arnaud Futeul, président de la commission foncier de l’OGE.
Pour éviter de consommer trop d’espace au sol, de nombreuses solutions existent comme la transformation de bureaux en logements, la construction de projets mixtes verticaux, ou la surélévation de bâtiment. Certaines collectivités, comme les villes de Paris et de Lyon, s’engagent pour faciliter la mise en œuvre de ces opérations, qui doivent néanmoins faire face à de multiples contraintes techniques et financières. «Résoudre ces obstacles techniques fait partie des compétences des géomètres-experts. De ce point de vue, on peut penser que le ZAN va booster leur activité», considère Gérard Roulleau, président de la commission copropriété-volumes de l’OGE et spécialiste de la surélévation.
Mais les questions liées à l’artificialisation des sols poussent aussi les professionnels à s’interroger sur leur qualité. Les urbanistes et les géomètres-experts ont besoin d’être informés sur ces problématiques, même si les jeunes générations, et donc les futurs professionnels, semblent avoir intégré le fait que le ZAN permet de changer la perception que chacun peut avoir de ce qu’il y a sous ses pieds. «Le sol est un patrimoine commun, au sens de l’héritage. En la matière, l’idée de transmission est essentielle», explique Sandrine Larramendy, paysagiste, qui réalise des études de sols dans le cadre de la planification urbaine.
Difficile de mesurer la santé des sols
«Ce travail interdisciplinaire conduit avec des architectes, des urbanistes, des paysagistes et des géomètres-experts doit mobiliser des moyens importants dans les collectivités. Partager la connaissance sur les sols permet de repérer les modes de travail de chacun et d’être plus efficaces ensemble», précise-t-elle.
Le droit ne donne pas de définition relative à la santé des sols. Il est donc difficile de mesurer si un sol est en bonne santé ou s’il est pollué. «Cela empêche de mettre en place des mécanismes d’évitement, de réduction et de compensation. La connaissance des sols existe, mais celle-ci doit être traduite dans les politiques publiques», rappelle Maylis Desrousseaux, maîtresse de conférences à l’Ecole d’urbanisme de Paris. Pourtant, avec la loi climat et résilience, les élus locaux participent à la réflexion sur la valeur du sol dans leurs territoires. «Mais il faut repenser le droit à construire, en prenant par exemple en compte les zones argileuses ou le recul du trait de côte. Ces fonciers désormais non constructibles pourraient alors être utilisés comme des lieux de compensation et de renaturation», développe Aurore Merlet, juriste, consultante et formatrice en droit immobilier.
Des îlots de verdures existent aussi, implantés dans des dents creuses en milieu urbain ou dans des friches, qui sont devenues des espaces très riches en biodiversité. Mobiliser ce type de foncier permet aussi de densifier. «Les orientations d’aménagement et de programmation, qui se déploient dans des cœurs d’îlots existants, sont de bons outils pour mener des projets de densification douce. Ils sont particulièrement souples», considère Jean-François Rouhaud, avocat spécialisé en droit de l’urbanisme et de l’immobilier.
Mais peut-on apporter de la nature en ville tout en densifiant? Pour Jacqueline Osty, paysagiste urbaniste, «il faut renaturer sans dénaturer. La densification est une nécessité mais elle ne doit pas oublier de conserver des espaces publics de qualité et végétalisés. Il faut faire du sur-mesure et prendre en compte les différentes échelles du paysage».
TÉMOIGNAGE
«Le ZAN oscille entre menaces et opportunités pour les géomètres-experts»
© Photos D.R.
Dominique Desjeux, anthropologue et sociologue, professeur émérite à l’université Paris Sorbonne, et Jeanne Piedallu, sociologue, ont mené une analyse croisée des contraintes engendrées par l’objectif de sobriété foncière, son niveau d’acceptabilité et les potentialités de transformation du métier de géomètre-expert..
Quelle méthode avez-vous appliqué à cette étude?
Notre vision anthropologique a permis d’apporter des réponses à la question posée par l’OGE: quelle est l’acceptabilité de la trajectoire ZAN par les géomètres-experts? Nous faisons l’hypothèse, au point de départ de l’enquête, que, si l’on comprend les contraintes, les pratiques et les valeurs des géomètres-experts, on comprendra pourquoi ils sont favorables à la loi, ou pourquoi ils la questionnent. Nous avons mené une dizaine d’entretiens qualitatifs et réalisé deux observations de terrain.
Quelle est la perception de cette loi par les professionnels interrogés?
La trajectoire ZAN oscille entre menaces et opportunités pour les géomètres-experts. Du fait de l’accroissement des mutations immobilières induites par la dynamique de densification de l’habitat et de la diversité des usages du foncier, des activités nouvelles s’offrent à la profession. Mais il y a aussi une réelle baisse d’activités dans la conception de lotissements, par exemple. Les géomètres-experts vont devoir se former pour explorer de nouveaux territoires d’opportunité et, s’ils ne l’ont pas déjà fait, investir dans de nouvelles technologies: drones, logiciels de représentation en 3D, solutions d’IA...
Quels pourraient être les effets de la loi pour les professionnels?
Pour les géomètres-experts interviewés, la loi climat et résilience engendre quelques grands effets, qu’on retrouve principalement aux limites du rural et de l’urbain. Il y a un premier enjeu autour de la fixation des limites pour préserver la paix sociale, parce que la densification sera source de conflictualité. D’autres enjeux se dessinent dans la précision des mesures de superficie face aux évolutions des prix du foncier, la nécessaire réinvention du lotissement ou l’opportunité de développer des services d’accompagnement et de conseil des collectivités en matière de diagnostic foncier des territoires. Les professionnels joueront aussi un rôle de sensibilisation des clients à la préservation des sols vivants, dans la perspective d’une utilisation plus responsable du foncier.
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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré aux Assises nationales de la sobriété foncière dans le magazine Géomètre n°2226, juillet - août 2024, en consultant notre page « Le magazine ».
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