Assises nationales de la sobriété foncière
En France, la mutation est en route
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
La situation en France
• Séance 2
• Multiplex depuis Fort-de-France
• Mercredi 3 juillet, 17h00
En France, le débat sur la sobriété foncière a déjà permis le vote de la loi climat et résilience en 2021. Mais les mentalités évoluent lentement, que ce soit au sein de la société ou même chez les professionnels de l’aménagement des territoires et du cadre de vie. Un mouvement pointé du doigt par Laurent Fuchs, géomètre-expert et président de la séance plénière spécifiquement consacrée à la situation française: «Il est absolument nécessaire que s’opère une prise de conscience. Les géomètres-experts mesurent quotidiennement l’écart qui peut exister entre l’objectif ZAN et les pratiques de terrain. Il est désormais temps d’interroger notre rapport au sol et à la propriété privée». Une réflexion développée à sa suite par le directeur de l’Institut de la transition foncière, Jean Guiony, qui a tout d’abord soulevé un paradoxe: «Alors que notre empreinte carbone a enfin commencé à baisser, notre empreinte foncière, elle, est en hausse!» Or, même si la prise de conscience est encore trop lente, l’importance des sols ne peut plus être contestée, à tel point que ceux-ci doivent devenir «une nouvelle frontière», considère Jean Guiony. Mieux: «Nos sols doivent être considérés comme des milieux à part entière» et bénéficier ainsi d’une réelle protection. Pourquoi pas, propose le directeur de l’Institut de la transition foncière, en s’inspirant des modèles mis en place pour la gestion de l’eau?
Le sol, un domaine mystérieux
Mais au fait, quand on parle de sols, ne faudrait-il pas désormais les considérer comme des communs? La question aiguillonne Marc Kaszynski, président du Laboratoire d’initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), pour qui «la coexistence de biens privés et de biens communs n’est pas forcément incompatible» avec l’objectif du ZAN, ainsi que le montrent les expériences conduites autour de la séparation du foncier et du bâti. Pour avancer dans cette voie, l’expert en aménagement du territoire estime qu’il est essentiel de «redonner une dimension stratégique aux questions foncières». Mais, pour élaborer une stratégie, encore faut-il être en possession de tous les éléments d’évaluation nécessaires. Or, à ce jour, le sol reste pour beaucoup un domaine mystérieux, «un continent inconnu» estime le microbiologiste des sols Claude Bourguignon, fondateur du laboratoire d’analyse microbiologique des sols (Lams21). Et le scientifique d’alerter: «Nous avons déjà perdu 50% du patrimoine organique des sols et rien n’est fait pour maintenir leur qualité biologique. Comment arrêter cette destruction?» Des exemples existent pourtant: l’Europe s’est en effet dotée de directives sur l’air et sur l’eau, qui pourraient tout à fait inspirer une démarche similaire en direction des sols. En attendant, si nous nous sommes arrogés collectivement et individuellement des droits sur nos sols, nous n’avons en revanche endossé aucun devoir vis-à-vis de leur préservation. Résultat, en matière agricole, nous disposons aujourd’hui de sols agricoles fertilisés par les engrais «mais devenus non fertiles», prévient Claude Bourguignon. L’artificialisation, elle, entraîne une accélération préoccupante de l’imperméabilisation des sols. Prenant en exemple les récentes inondations du nord de la France, le microbiologiste souligne le risque induit: «Il ne pleut pas plus, mais la perméabilité s’effondre!», et le risque augmente mécaniquement. Pour réussir à prendre enfin en compte l’importance des sols, «il est essentiel, selon Jean-Jacques Herin, président de l’Association douaisienne pour la promotion des techniques alternatives en matière d’eaux pluviales (Adopta) et spécialiste de l’amélioration des fonctions hydriques des sols, de sortir d’un mode d’organisation en silos et d’interagir entre spécialités».
Laurent Fuchs ouvre la deuxième séance plénière des assises, consacrée à la situation en France. © G. Simba pict pour OPA
Des outils à la disposition des collectivités
Mais le ZAN n’est pas qu’une question d’experts. C’est aussi une question politique qui oppose parfois des visions de l’aménagement et du développement. Nombreux sont d’ailleurs les élus et les spécialistes de la question qui s’interrogent sur la déclinaison locale d’un objectif national. Philippe Alpy, lui, croit dans les outils déjà à disposition des collectivités. Pour le président de l’Association nationale des EPFL (établissements publics fonciers locaux), celles-ci doivent aujourd’hui se saisir de cet outil mis à leur disposition: «Nous disposons là d’un levier d’action fort pour faire face aux enjeux de maîtrise du foncier, notamment en ce qui concerne l’aménagement des friches». Pour celui qui est aussi maire de la commune de Frasne (Doubs), le ZAN doit permettre «d’inviter l’ensemble des élus à envisager le partage de leur territoire selon de nouvelles modalités». A contrario, le président de l’Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et maire de Cannes, David Lisnard, s’il ne conteste pas la nécessité de choisir la voie de la sobriété foncière, s’interroge sur les difficultés posées par sa mise en œuvre (lire ci-dessous).
Du côté des aménageurs, en tout cas, les transformations induites par l’objectif du zéro artificialisation nette sont déjà des réalités. Pour Laurent Vigneau, co-président de la Société française des urbanistes, les acteurs de l’aménagement des territoires et du cadre de vie «tournent autour de l’invention d’une nouvelle culture». Face à «cette remise en cause assez exceptionnelle, il est nécessaire de redéfinir collectivement nos représentations», estime-t-il. En la matière, il se montre optimiste pour les géomètres-experts, «qui ont toujours su s’adapter et proposer de nouvelles solutions». Reste maintenant, prévient-il toutefois, «à disséminer cette culture». Une propagation qui peut se faire «en inventant des projets urbains à la fois désirables et acceptables», estime Amaury Krid, urbaniste, responsable du pôle observation foncière et planification au sein de l’agence Aguram, à Metz. Mais, pour cela, il faudra désormais être «en mesure de créer des modèles de développement urbain intensifs et non plus extensifs».
Renouer avec «des modèles de mixité sociale»
Ce changement de vision passe aussi par une remise en cause des modèles existants. Gabriel Humbert, urbaniste et directeur des projets urbains et de la stratégie immobilière chez Vivest, alerte sur «la nécessité de prendre conscience du rôle dévolu à la voiture et de s’interroger sur les contraintes induites par ce mode de développement». En redéfinissant les modèles urbains, il s’agit aussi de renouer avec «des modèles de mixité sociale qui ont su faire leurs preuves par le passé, avant même l’instauration des règles d’urbanisme», rappelle pour sa part Eric Peigné, correspondant ville durable à la direction départementale des territoires d’Indre-et-Loire.
Source d’inquiétude ou de questionnement, le ZAN reste néanmoins «une formidable opportunité pour réinventer nos métiers», rappelle Laurent Fuchs. Pour le président de cette séance consacrée à la situation en France, les acteurs de l’aménagement devront de toute façon s’adapter. Au premier rang de ceux-ci, il voit les géomètres-experts, «en tant que facilitateurs dans les domaines de l’urbanisme, de l’aménagement, du foncier et de la propriété».
POINT DE VUE
«Nous avons besoin d’un assouplissement de la loi et de délais supplémentaires»
© D.R.
Le maire de Cannes et président de l’AMF, David Lisnard, a porté une voix discordante concernant l’application de l’objectif ZAN, dont il considère les modalités d’application à la fois trop rigides et déconnectées des réalités des territoires.
La sobriété foncière et l’objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) sont partagés par tout le monde, estime David Lisnard, président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF). Il considère même qu’un consensus existe désormais chez les maires de France pour alerter sur les excès commis en matière d’artificialisation des sols. Mais le premier magistrat de la ville de Cannes se montre beaucoup plus circonspect sur la mise en œuvre d’un dispositif jugé «technocratique». «Le ZAN tel qu’il est conçu aujourd’hui est une usine à gaz, dont nous dénonçons les risques depuis un bon moment au sein de l’AMF», alerte-t-il. L’élu en veut pour preuve les conflits locaux que susciterait selon lui l’application du ZAN, voire la spéculation effrénée qu’engendrerait le dispositif sur le foncier disponible.
Des problèmes de «distorsion territoriale»
Face à ce risque «de voir s’envoler les prix du foncier», le président de l’AMF, qui entend contester les effets pervers de la loi climat et résiliance «tout en restant légitimiste» alerte sur les problèmes de «distorsion territoriale» engendrés selon lui par un dispositif conçu au niveau national sans tenir compte des spécificités locales. «Ce que nous demandons, c’est un assouplissement de la loi et la possibilité de bénéficier de délais supplémentaires pour son application.»
Pour David Lisnard, sans de tels aménagements, «la tension ira croissante» en raison d’une information jugée «mauvaise» et de délais considérés comme «non raisonnables».
Du côté de l’AMF, on a déjà réfléchi à des solutions destinées à «sortir de la nasse» dans laquelle le ZAN enfermerait les communes. «Pourquoi ne pas créer un système de bonus-malus?», interroge David Lisnard. «On attribuerait par exemple un bonus à la diversification de l’usage des terrains et un malus à l’étalement urbain.» Pour le maire de Cannes, un tel dispositif permettrait à la fois de responsabiliser les maires et d’obtenir une application de la loi plus efficace.
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