Assises nationales de la sobriété foncière
Le littoral face à ses contradictions
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La sobriété foncière en zone littorale
• Séance locale de La Rochelle
• Jeudi 4 juillet, 8h30
A La Rochelle, environ 350 personnes ont participé aux Assises nationales de la sobriété foncière. Pour Roger Gervais, qui représentait la communauté d’agglomération lors de la séance locale consacrée à la sobriété foncière en zone littorale, le choix de la ville coulait de source. La sobriété foncière est en effet l’un des premiers outils de la démarche «La Rochelle, territoire zéro carbone». Comme l’a rappelé le président de séance Fabien Palfroy, «Sur le littoral on est face à un double défi: la trajectoire ZAN et l’érosion côtière. Si l’on veut que ces territoires restent habitables dans les prochaines décennies, la mise en place de stratégies de gestion adaptées va s’avérer cruciale». Le changement climatique provoque l’élévation du niveau moyen de la mer et la multiplication des événements extrêmes. Gonéri Le Cozannet, ingénieur BRGM à l’unité «Risque côtier et changement climatique» et membre du Haut Conseil pour le climat, prône l’adaptation mais prévient: «Il n’y a pas de solution miracle. A court terme, on peut réduire la vulnérabilité des bâtiments et éviter de construire, mais au-delà de 30 ou 40cm d’élévation au niveau de la mer, ce ne sera plus suffisant. A long terme, il n’y a que deux solutions: soit on recule, soit on protège», souligne-t-il.
500.000 bâtiments concernés par l’érosion et la submersion en 2100
En France métropolitaine, la population littorale est de huit millions d’habitants et continue d’augmenter. Selon le Cerema, à l’horizon 2100, 500.000 bâtiments seront concernés par l’érosion et la submersion, l’enjeu financier étant évalué à plus de 80 milliards d’euros. Etablie en application de la loi climat et résilience, la liste des communes les plus exposées à l’érosion côtière souhaitant adapter rapidement leur politique d’urbanisme a été révisée en juin 2024, portant leur nombre à 317.
Jean-Yves Mas, géomètre-expert à Lacanau, et Simon Galloux, responsable de l’unité gestion du littoral à la direction départementale des territoires et de la mer de la Charente-Maritime, ont présenté les données disponibles pour définir le trait de côte, surveiller son évolution et délimiter le domaine public maritime, dont le portail GéoLittoral. «Le géomètre-expert maîtrise l’intégralité des techniques et des données qui peuvent être utilisées dans le cadre de l’évolution du trait de côte», a souligné Jean-Yves Mas. Lui-même a ainsi été amené à réaliser les premières mesures 3D bathymétriques sur l’emblématique digue Bartherotte, construite à l’initiative d’un homme d’affaires pour protéger de l’érosion la pointe du Cap-Ferret et désormais reconnue d’utilité publique.
Mais c’est aux collectivités qu’incombe la responsabilité de trouver un équilibre entre protection des biens, préservation de l’écosystème et sécurité des populations. A Biscarosse, la stratégie locale de gestion de la bande côtière pilotée par Vincent Bawedin a été initiée en 2018. Privilégiant une approche résiliente fondée sur la nature, plus respectueuse des écosystèmes que les solutions «dures» (digues, épis, enrochements...), elle repose sur l’accompagnement des processus naturels dans les dunes et sur la lutte active souple contre l’érosion, à savoir sur des transferts mécaniques de sable respectant la dynamique côtière. «La submersion est considérée comme étant un risque, alors que l’érosion ne l’est pas. Ses conséquences ne donnent pas droit à indemnisation», déplore Vincent Bawedin. De fait, les 200.000 euros mis sur la table par l’Etat pour relocaliser deux villas jumelles de style balnéaire et un grand hôtel sont bien en deçà de la valeur évaluée par leurs propriétaires et la négociation est au point mort. Le «laisser à la mer» de certains biens, entériné comme solution financièrement raisonnable dans un tout récent rapport interministériel, lui paraît cependant inacceptable.
Une table ronde a ensuite réuni Michel Parent, président de la communauté de communes de l’île d’Oléron, François Blanchet, maire de Saint-Gilles-Croix-de-Vie et Patrick Marengo, maire de Royan. Très en verve, ils ont décrit les acrobaties auxquels les élus doivent se livrer pour composer avec les exigences de protection, les besoins de développement urbain, la pression foncière et les multiples contraintes réglementaires. Tous sont conscients des enjeux de la protection. «Depuis Xynthia, tout a changé. Nous avons essayé de travailler avec la nature, détruit un par un tous les ouvrages en enrochement et réaligné le trait de côte», a expliqué François Blanchet. Mais le réensablement ne suffit pas toujours. Sur l’île d’Oléron, les digues et ouvrages à protéger ou à conforter sont nombreux; à Royan, ce sont les falaises qu’il faut consolider. Le manque de moyens financiers a été unanimement dénoncé. Les communes cherchent un soutien du côté de la région ou des EPCI, ou bien augmentent à leur niveau la taxe Gemapi ou la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, mais c’est insuffisant... «Il va bien falloir se poser la question de la solidarité nationale», estime François Blanchet.
Le casse-tête du partage du foncier
L’acceptation sociale des mesures prises n’est pas toujours au rendez-vous. Développer la culture du risque des populations est donc un enjeu majeur. A cela s’ajoute le casse-tête du partage du foncier entre logement, activité portuaire, tourisme, etc., dans un contexte de raréfaction entre trajectoire ZAN et recul du trait de côte. La nécessité de la densification n’est pas contestée et le pays de Saint-Gilles-Croix-de-Vie a même décidé «de faire du ZAN une chance», mais la mise en œuvre de la réglementation est ardue. «Je le dis brutalement: une application en 2050 du ZAN me semble impossible. C’est même une connerie si on veut l’appliquer de façon uniforme sur le territoire national», a asséné Michel Parent.
La valorisation des biens soumis au risque reste une question épineuse. Elle se pose notamment dans le cadre du droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte. Selon Nicolas Doremus, chargé de mission au pôle évaluation de la Direction nationale de l’immobilier de l’Etat, «les prix se maintiennent en raison des aménités et restent déconnectés de la réalité». Les renvois au portail Géorisque sont peu consultés, et la notion de risque naturel reste subjective. «Le risque naturel est relativement bien accepté pour un bien présentant une situation exceptionnelle», a confirmé Xavier Richard, membre de la Compagnie des experts de justice immobiliers. Lorsqu’on souhaite juste profiter de sa retraite quelques années, jouir d’une vue sur mer ou d’un accès direct à la plage peut primer sur le risque. La «punchline» des annonces immobilières «Maison, les pieds dans l’eau» reste donc attractive. On le voit, l’adaptation, «réponse nécessaire au recul du trait de côte, à l’érosion et à la submersion», selon Fabien Palfroy, soulève encore bien des défis. La relocalisation des activités et des habitants, notamment, est encore sujette à controverse. Quant au financement des mesures, il reste évidemment un enjeu majeur.
TÉMOIGNAGE
«Penser l’occupation de l’espace différemment»
© D.R.
Menacées par le recul du trait de côte, les stations balnéaires du littoral disposent d’une faible marge de manœuvre pour aménager leur territoire. Face à des injonctions légales contradictoires, comment préserver l’attractivité de la ville? Entretien avec Patrick Marengo, maire de Royan.
Quelles sont vos priorités pour penser l’aménagement à Royan?
Patrick Marengo: Pour moi, l’adéquation entre emploi et logement est prioritaire. Actuellement, il y a une vraie incohérence: 50% de la population active de Royan n’y habite pas! Nous sommes par ailleurs tenus d’appliquer la loi SRU qui impose de tendre vers un taux de 25% de logements locatifs sociaux, car ne pas le faire coûte très cher. Dans le même temps, la sobriété foncière est une priorité. Aujourd’hui, les maires n’ont pas d’autre choix que de prendre en compte ce changement de paradigme.
De quels outils disposez-vous pour garder votre maîtrise sur le foncier?
P.M.: Nous nous appuyons sur des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) pour monter des projets de programmes immobiliers dans certaines zones encore constructibles. En collaboration avec l’établissement public foncier Nouvelle-Aquitaine, nous cherchons aussi à éviter la spéculation. Les procédures de déclaration d’utilité publique nous permettent de veiller à ce que les prix du foncier ne s’envolent pas, quitte à faire des mécontents. Nous avons par ailleurs engagé la réhabilitation des zones économiques, dont les «dents creuses» constituent des espaces fonciers mobilisables.
Quelles évolutions envisagez-vous pour prendre en compte le recul du trait de côte?
P.M.: Dans le cadre de nos prochains PLU, il faudra en venir à cette cartographie des zones d’exposition au recul du trait de côte à court terme (0-30 ans) et à long terme (30-100 ans) prévue par la loi climat et résilience, afin que les personnes qui ont des projets immobiliers au plus près de la mer arrivent à se projeter. Plus largement, l’absence de réserve foncière stratégique nous impose de penser l’occupation de l’espace différemment. Par exemple, le PLU pourrait recommander la parcellisation des grands terrains à la faveur d’une mutation. Enfin, dans certains quartiers, il faudra permettre la construction d’immeubles à plusieurs étages. Mais il faudra veiller à ce que ces projets immobiliers soient paysagés et acceptables pour les riverains, ce qui demandera sans doute beaucoup de persuasion!
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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré aux Assises nationales de la sobriété foncière dans le magazine Géomètre n°2226, juillet - août 2024, en consultant notre page « Le magazine ».
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