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Assises nationales de la sobriété foncière
Un défi planétaire

A l’instar du risque climatique, la sobriété foncière ne peut donner de résultats que si elle est appliquée à l’échelle de la planète. Consommation, déplacements, mode d’habi­tat: de Tokyo à Paris, en passant par Montréal et Fort-de-France, la réussite de cette trajectoire dépend de notre capacité collective à modifier nos habitudes.
Samuel Ribot | Le mercredi 10 juillet 2024
Tokyo gagne des habitants alors que le pays perd près d’un million d’individus chaque année. © lukyeee_nuttawut / Adobe Stock

ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE


Contexte mondial et approche comparée des ­stratégies de sobriété foncière

• Séance 1
• Multiplex depuis Fort-de-France
• Mercredi 3 juillet, 14h45



C’est en écoutant les récits de l’explorateur Nicolas Vanier que les 1.700 participants des Assises nationales de la sobriété foncière ont plongé dans la première thématique débattue en séance plénière: «Contexte mondial et approche comparée des stratégies de sobriété foncière». Cet amoureux des terres glacées et des grands espaces est venu à la rencontre des acteurs de l’aménagement des territoires et du cadre de vie avec un message: primo, l’heure est aujourd’hui à l’action; secundo, il n’est nul besoin de se flageller pour aller vers la sobriété. «Aujourd’hui, il faut arrêter de parler. Il faut faire», a martelé Nicolas Vanier, dressant un sinistre panorama de ses observations. «Ce que j’ai vu ces dernières années sous l’influence du réchauffement, c’est un permafrost qui s’effondre, des forêts entières qui se couchent et des villages qui disparaissent.» Pour autant, estime-t-il, ce n’est pas sous le joug d’une écologie punitive que nous parviendrons à redresser la barre. «Il faut faire avec la planète sur laquelle nous vivons, cesser de conjuguer uniquement le verbe avoir et adopter la sobriété dans toutes nos activités.»


A ces observations sensibles, la spécialiste du climat, Françoise Vimeux, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, est venue superposer des données chiffrées. «Nous ne sommes clairement pas aujourd’hui en mesure de respecter les engagements de lutte contre le réchauffement climatique pris dans le cadre des accords de Paris, a-t-elle prévenu. Mais la fenêtre pendant laquelle nous pouvons agir ne s’est pas encore refermée.» Face aux risques énumérés par la climatologue – incendies, élévation du niveau des eaux, ouragans – la sobriété, appliquée à la fois individuellement et collectivement, reste LA solution. «La difficulté n’est pas technique, elle est sociétale», a confirmé à sa suite Virginie Raisson-Victor, géopolitologue, prospectiviste et présidente du Giec des Pays-de-la-Loire. «C’est le poids de notre modèle consumériste, hérité des années 1950 et 1960, qui rend la sobriété si difficile à atteindre.» Aux risques purement climatiques énumérés par Françoise Vimeux, elle est venue superposer les autres périls liés au réchauffement: «un risque alimentaire lié à l’augmentation de la population et à nos habitudes de consommation, un risque sanitaire lié entre autres au stress thermique, aux cancers de la peau, à la dépression et enfin un risque géopolitique lié à la rareté des minerais nécessaires à la transition écologique». Cette fois encore, l’intervenante a préféré pointer des solutions plutôt que de s’abandonner au catastrophisme: la solution réside, selon elle, dans «la mise en commun de nos moyens, la limitation de nos déplacements, l’essor des mobilités douces, la révision de nos schémas d’urbanisme et de nos usages des matériaux de construction». 



En multiplex depuis Epernay, l’explorateur Nicolas Vanier a prôné la sobriété dans toutes les activités humaines. © G. Simba pict pour OPA



Manque d’autonomie des régions

Du haut de sa longue expérience, l’urbaniste Jean-Claude Galléty est venu rappeler que la prise de conscience de la nécessité de s’orienter vers une attitude de sobriété foncière n’était pas née avec la loi climat et résilience de 2021. Avant cela, il y avait notamment eu la loi d’orientation foncière (Lof) de 1967, les lois de décentralisation, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) en 2000... «Dans les années 1990, on commence déjà à parler de développement durable et on critique l’étalement urbain. Puis, peu à peu, on commence à s’intéresser à la question de l’imperméabilisation des sols et à la consommation d’espace», a énuméré le président de l’Office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU). Pour lui, il subsiste toutefois deux freins importants à la mise en œuvre d’une politique volontariste de sobriété foncière: le manque d’autonomie accordée à des régions dont les réalités sont différentes, d’une part, et «l’appétence durable des Français pour le modèle de la maison individuelle», d’autre part. Et Jean-Claude Galléty d’ajouter à ce constat une donnée susceptible de ralentir le mouvement vers la sobriété foncière: la densification douce, outil essentiel en milieu urbain, «ne peut se faire, a-t-il rappelé, qu’au moment de la mutation d’une propriété».
Ailleurs dans le monde, la question de la sobriété se pose également avec insistance, même si les contextes locaux obligent à l’envisager sous un autre jour. Ainsi le Japon, terre surpeuplée dans l’imaginaire européen, perd aujourd’hui un million d’habitants par an. Cette crise démographique est en train de bouleverser tous les repères. Pour le géographe Raphaël Languillon-Aussel, chercheur à l’Institut français de recherche sur le Japon, basé à Tokyo, la question de la sobriété foncière se pose à de multiples niveaux dans l’archipel nippon. «Dans certains endroits, là où les populations sont parties, la question qui se pose, c’est celle de de la libération de ce foncier et de sa transformation. Mais dans d’autres, comme au cœur de Tokyo, on manque de place et les enjeux de densité et de spéculation sont très importants» (lire l’entretien ci-dessous). Autres latitudes, autres préoccupations: au Canada, le développement s’est longtemps fait non pas dans une optique de sobriété mais de «gloutonnerie foncière», a malicieusement souligné Francis Roy, docteur en aménagement du territoire et développement régional à l’université de Laval, à Québec. Pour autant, alors que le pays a longtemps été porté par un idéal de développement sans limites, la question de la sobriété foncière fait aussi son chemin dans le pays des grands espaces. «Même si notre territoire est immense, nous faisons désormais dans les grandes métropoles face à des enjeux de densification urbaine qui nous amènent à réfléchir sur la meilleure manière d’utiliser la trame existante pour revoir notre urbanisme», confirme le chercheur. 

Envisager diverses solutions
Au Japon, en France ou au Canada, les impacts du réchauffement climatique, des crises multiples et de l’étalement urbain contraignent les décideurs comme les populations à chercher des voies d’adaptation. L’examen de ces stratégies impose un premier constat: «Il n’y pas une mais des solutions», rappelle ainsi Jean-Claude Galléty. Remise en question du modèle consumériste, stratégies multiples de sobriété et innovations techniques sont autant de pistes à explorer. «Cette séance nous a permis, en tant que géomètres-experts, de réaliser que nous étions déjà engagés dans cette trajectoire», observe Daniel Aïnama, président de séance et du conseil régional de l’Ordre des géomètres-experts d’Antilles-Guyane. «Ce mouvement vers la sobriété foncière va nous amener dans notre pratique quotidienne, y compris dans des activités de bornage ou de partage familial, à penser systématiquement en termes d’aménagement du territoire.» Il considère également l’apport positif des échanges nés de cette première séance plénière. «Le fait d’avoir pu nous comparer à ce qui se fait dans d’autres pays doit être de nature à nous inspirer et nous rassurer à la fois: il y a ailleurs dans le monde des réussites et des exemples dont nous pouvons nous inspirer et que nous pouvons adapter à nos pratiques, mais il existe aussi chez nous des pratiques et des méthodes qui vont d’ores et déjà dans le sens d’une plus grande sobriété foncière.»



TÉMOIGNAGE
«La France et l’Europe dans un processus novateur»


© S. Ribot

Les objectifs du ZAN pourraient inspirer d’autres pays du globe, confrontés à des problématiques similaires. Entretien avec Raphaël Languillon-Aussel, chercheur à l’Institut français de recherche sur le Japon.

De quelle manière le sujet de la sobriété foncière est-il abordé au Japon?
Raphaël Languillon-Aussel: Ce n’est pas parce qu’on est en déclin démographique qu’on n’artificialise plus son territoire. On le voit en France: 25% de l’artificialisation se pratique dans des communes qui perdent des habitants. C’est la même chose au Japon, dont la population baisse pourtant d’un million d’individus par an. Cela s’explique par un phénomène de «décohabitation», qui fait que, malgré une perte de population, il y a un besoin de logements supplémentaires, par l’expansion d’autres types d’utilisation de l’habitat comme Airbnb, par l’essor des résidences secondaires... Il peut aussi s’agir d’un découplage entre l’offre et la demande. C’est le cas dans les territoires périurbains et ruraux du Japon, où il y a beaucoup de logements vides et pas de demande. Inversement, le report de population vers d’autres parties du territoire entraîne des dynamiques de concentration. Tokyo, par exemple, gagne des habitants alors que le pays en perd, ce qui peut générer de l’artificialisation ou une densification très poussée. 

Vous distinguez au Japon des «points chauds» et des «points froids». A quoi correspondent-ils?
R.L.-A.: Au niveau national, les points chauds sont des points de densification de la population. Les points froids, ce sont des zones rurales ou périurbaines éloignées, qui correspondent à plus de 50% du territoire. Il y a d’ailleurs un mot pour désigner les territoires qui perdent plus de 10% de leurs habitants par décennie: les «kaso». La deuxième opposition point chaud - point froid se retrouve à l’intérieur des métropoles, où l’on observe soit une dynamique de renaissance des centralités, qui s’appuie sur un zonage très précis, soit l’apparition de zones délaissées, avec un abandon voire une destruction de la richesse immobilière.

Selon vous, la France et l’Europe sont en avance sur cette problématique de la sobriété foncière. Pourquoi?
R.L.-A.: Nous artificialisons encore beaucoup, mais la loi ZAN est une première en Europe et dans le reste du monde. Cette trajectoire s’inscrit dans un courant de pensée qui remonte chez nous au xixe siècle, mais qui demeure largement inconnu au Japon ou aux Etats-Unis. A ce titre, la France et l’Europe sont engagées dans un processus novateur qui consiste à reformaliser de manière radicale l’enjeu de l’aménagement et des rapports entre nature et société. 





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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré aux Assises nationales de la sobriété foncière dans le magazine Géomètre n°2226, juillet - août 2024, en consultant notre page « Le magazine ».





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