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Marchés publics: la justice tranche en faveur des géomètres-experts

Dans une procédure concernant un marché public comprenant des travaux topographiques et fonciers, une société de topographie a vu sa demande rejetée par le tribunal administratif de Versailles.
Jean-François Dalbin, géomètre-expert, membre de la commission copropriété - volumes de l’OGE | Le lundi 2 septembre 2024
© caprasilana / Adobe Stock

Le rappel des faits

Dans cette affaire (1), l’avocat historique de la Chambre syndicale nationale des géomètres-topographes qui défend les intérêts de la société de topographie concernée par la procédure et dont un des dirigeants est vice-président de l’organisation professionnelle, soutient que «l’affaire en cause, au-delà du marché contesté, porte sur la divergence quant à la portée du monopole dont bénéficient les géomètres-experts qui doit être entendu de manière restrictive; les deux catégories de géomètres exercent la même profession et il serait illusoire de considérer que les géomètres-experts feraient tous les travaux de relevés, le procès en incompétence des géomètres topographiques n’étant pas fondé; il existe en réalité un glissement sémantique consistant à dire que tous les actes qui pourraient être utilisés dans le droit de propriété devraient par nature être réservés aux géomètres-experts». 
S’ensuit la liste des différents travaux répertoriés au marché et ses observations. L’avocat terminant son argumentaire par ces mots: «Au final, la plupart des prestations en cause relèvent de la libre concurrence, de sorte que la décision en litige est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation; enfin, l’argument du coût supplémentaire n’est pas sérieux car le géomètre-expert peut utiliser les mesures prises par d’autres».



L’analyse et la réalité des textes

S’il est évident que les prestations 3.1, 3.2 et 3.3 (voir ci-dessous) sont dans le champ concurrentiel, il semble important de rappeler que l’implantation d’ouvrage (prestation 3.4) ne relève pas du monopole du géomètre-expert sauf à considérer que, pour sécuriser une telle mission, il est indispensable de déterminer au préalable les limites de propriété. En l’absence d’une telle précaution, le prestataire prend le risque inconsidéré d’implanter l’ouvrage en empiétement sur la propriété voisine ou de ne pas respecter les prospects imposés aux règles d’urbanisme.

Si le conseil du demandeur, dans son argumentaire, reconnaît que le bornage relève bien du monopole du géomètre-expert (3.5), pour d’autres missions foncières, il laisse imaginer le contraire en totale méconnaissance de l’article 1er de la loi n°46-942 du 7 mai 1946 instituant l’Ordre des géomètres-experts. 
En effet, le premier alinéa définissant le monopole stipule: «Le géomètre-expert [...] réalise les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers et, à ce titre, lève et dresse, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d’échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière».

La division et le document modificatif du parcellaire cadastral (3.6) relèvent bien du monopole. Et le Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) rappelle, dans ses instructions modifiées par l’arrêté du 30 juillet 2010 fixant les modalités d’attribution des agréments pour l’exécution des travaux cadastraux et plus particulièrement son article 8, que les topographes et retraités du cadastre notamment s’interdisent de réaliser les études et travaux topographiques destinés à fixer les limites des biens fonciers et les droits qui y sont attachés, lesquels travaux relèvent de la seule compétence des géomètres-experts.

Les plans de ventes (3.8) qui sont susceptibles de reprendre la définition des limites de propriété et des servitudes éventuellement applicables sont bien de la compétence du gèomètre-expert, comme d’ailleurs le plan parcellaire et l’état parcellaire, établis à partir des données du cadastre et de la publicité foncière mais qui préfigurent les divisions qui pourraient être engagées dans l’évolution du projet.

Pour ce qui relève des servitudes (3.14), l’avocat évoque qu’elles ne concernent que le droit de propriété et ne portent pas sur la délimitation de propriété, mais c’est sans compter sur les termes de l’article 1er qui stipule «les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière». La servitude n’est rien d’autre qu’un droit réel attaché à une propriété foncière. 

Pour la copropriété et la division en volumes (3.15, 3.16), c’est également méconnaître un certain nombre d’éléments de droit foncier et de décision. La division en volumes est une division foncière pure et simple qui relève du monopole des géomètres-experts. En 1990, un rapport de MM. Malinvaud et Gaudemet, professeurs de droit public, le confirmait sans aucun doute. Pour la copropriété, la Cour de cassation, dans un arrêt publié au bulletin (2), confirmait qu’il importait peu que le plan annexé à l’état descriptif de division eût été réalisé par un géomètre-expert ou non, cependant qu’il ressort des articles 1 et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée, que seuls les géomètres-experts peuvent dresser les plans de division des biens fonciers, la cour d’appel en a violé par refus d’application les dispositions.
Donc, les plans et documents graphiques utiles à la définition foncière et notamment les plans de copropriété, relèvent bien du monopole des géomètres-experts. Il est à noter que même l’Autorité de la concurrence, qui avait initié une enquête sur le monopole revendiqué par la profession en matière de plan de copropriété, avait renoncé à poursuivre au vu de cette décision.

Un des derniers arguments invoqués par l’avocat s’appuie sur le «coût supplémentaire [qui] n’est pas sérieux, car le géomètre-expert peut utiliser les mesures prises par d’autres». Là encore, c’est totalement méconnaître les règles de l’art de la profession. L’article 50 du décret régissant la profession stipule que le géomètre-expert ne peut prendre ni donner en sous-traitance les travaux mentionnés au 1° de l’article 1er de la loi du 7 mai 1946 modifiée susvisée. La co-traitance n’est admise pour ces travaux qu’entre membres de l’Ordre. Au début des années 2000, il avait été admis qu’un géomètre-expert pouvait co-traiter avec un topographe pour des travaux relevant du secteur concurrentiel de la topographie. Mais, pour des travaux fonciers, le géomètre-expert doit obligatoirement procéder aux relevés nécessaires pour la détermination des travaux fonciers. Si ces éléments ont déjà été mesurés par quiconque pour l’établissement du plan topographique, le géomètre-expert ne pourra pas les utiliser et devra procéder à un nouveau relevé, sauf à ce que les relevés aient été effectués par un autre géomètre-expert. Le tribunal administratif de Versailles rejette donc la demande d’allotissement et précise: «pour un marché relatif à des prestations ne portant que partiellement sur des prestations relevant du monopole légal des géomètres-experts, il était loisible à la société, qui ne possède pas ces qualifications, de s’adjoindre dans le cadre d’un groupement conjoint, en tant que co-traitant, le concours d’un géomètre-expert, à la condition que la répartition des tâches entre les membres du groupement n’implique pas que la société de topographie soit nécessairement conduite à effectuer des prestations relevant des articles 1er et 2 de la loi du 7 mai 1946 modifiée».  

(1) TA Versailles, 19 mars 2024, requête n°2401753.
(2) Cass, 1 civ., 29 juin 2022, 20-18.136, publié au bulletin.



La liste des prestations et les observations de l’avocat

Prestations du marché mis en cause

– 3.1. Polygonale de précision 
– 3.2. Plan topographique 
«Tous les travaux en cause ne sont que des prestations descriptives»

– 3.3. Plan de synthèse des réseaux existants 
«Tout le monde s’accorde à considérer qu’ils peuvent être effectués par les géomètres topographes»

– 3.4. Implantation
«Aucune prestation de nature foncière n’est initiée, de sorte que ces travaux ne sauraient relever d’un tel monopole»

– 3.5. Bornage 
«Si un monopole est reconnu aux géomètres-experts, le délai de deux mois qui est prévu paraît optimiste au regard de la perspective d’un éventuel bornage judiciaire»

– 3.6. Division de parcelle – Document modificatif du parcellaire cadastral (DMPC)
«La division foncière apparaît déjà dans la prestation n°5, de sorte que le document modificatif cadastral ultérieur est de nature descriptive et fiscale» 

– 3.7. Dossier de vente par lot
«Ne présente aucune incidence foncière et ne relève pas du monopole»

– 3.8. Plan général des ventes
«Elle concerne un document purement descriptif qui relate les limites foncières déjà établies»

– 3.9. Plan de récolement
«Il est constant que cette prestation n’est pas réservée aux géomètres-experts»

– 3.10. Plan de bâtiment 
«Le plan du bâtiment n’a pas de portée foncière»

– 3.11. Plan d’héberge et façade 
– 3.12. Plan parcellaire
«Il s’agit d’un plan réalisé à partir d’une opération cadastrale sans portée immédiate en matière foncière»

– 3.13. Etat parcellaire 
– 3.14. Servitude (d’ordre privé ou administrative) 
«Elle ne concerne que le droit de propriété et ne porte pas sur la délimitation de propriété»

– 3.15. Mise en copropriété d’après plans fournis 
– 3.16. Etat descriptif de division en volumes
«15 et 16, l’ensemble des documents joints aux actes de copropriété n’ont pas à être faits par des géomètres-experts»

– 3.17. Calcul de surfaces 
– 3.18. Nivellement 
– 3.19. Dossier de demande de permis de démolir ou de déclaration préalable travaux d’infrastructure
«17, 18 et 19 ne relèvent pas du monopole des géomètres-experts»

– 3.20. Dossier de déclassement du domaine public 
– 3.21. Dossier de préemption
«20 et 21, aucun travail de nature foncière est établi»

– 3.22. Prestation à la vacation