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Assises nationales de la sobriété foncière
Un projet de société à l’épreuve du réel

Les Assises nationales de la sobriété foncière s’étaient données pour objectif de réunir les compétences de tous bords afin d’appréhender frontalement la myriade de questions, d’espoirs et de difficultés soulevés par l’ambitieux projet incarné par la trajectoire zéro artificialisation nette (ZAN).
Samuel Ribot | Le mercredi 10 juillet 2024
© G. Simba pict pour OPA

Deux jours de débats, quatre lieux de rencontres et d’échanges, plus de 1.700 participants et 96 intervenants: les Assises nationales de la sobriété foncière, organisées les 3 et 4 juillet derniers par l’Ordre des géomètres-experts (OGE) à Fort-de-France, Epernay, La Rochelle et Aix-en-Provence, se sont données les moyens de leurs ambitions. En transformant leur traditionnel congrès en un événement multisite, voulu et livré comme une expérience interactive, les géomètres-experts souhaitaient secouer les consciences autour de l’un des sujets majeurs du cadre de vie: l’application de la loi climat et résilience et son avatar le plus concret, le zéro artificialisation nette (ZAN).
«Il s’agit d’un sujet qui va bien au-delà du foncier, observe Séverine Vernet, présidente de l’OGE. La sobriété foncière impacte évidemment le secteur de la construction, mais c’est toute la filière de l’aménagement qui est amenée à revoir ses pratiques.» La trajectoire ZAN, qui implique de réduire de 50% la consommation d’espace foncier à horizon 2031 et d’atteindre une neutralité en 2050, impacte de fait l’économie, la population, les collectivités, et bien sûr les acteurs de l’aménagement et du cadre de vie comme les géomètres-experts. «Notre profession est indispensable à la mise en œuvre de la sobriété foncière, confirme Philippe Pacaud, rapporteur général des Assises, mais nous n’avons pas voulu nous contenter de ce constat. C’est pourquoi nous avons choisi de nous ouvrir aux autres acteurs tout en nous positionnant comme force de proposition.» C’est ainsi qu’ont pu être entendus à l’occasion de ces Assises des urbanistes, des paysagistes, des architectes, des juristes, des élus, des techniciens et même... des explorateurs. La mise en œuvre de la sobriété foncière remet en cause pratiques et habitudes. Elle impose un calendrier, des restrictions, et contraint chacune et chacun à trouver des solutions. Surtout, elle impacte la vie des citoyens. C’est ce qu’ont cherché à comprendre les membres de l’OGE, en commandant à l’institut de sondages Opinionway (1) une étude centrée sur la perception de la sobriété foncière par la population.

Les Français favorables, mais...
Les enseignements de cette enquête d’opinion démontrent que, si le concept de sobriété foncière séduit, il reste un immense travail à faire pour le rendre acceptable aux yeux des Français. Sur le papier, tout va bien: 81% des sondés sont favorables au principe même de la loi climat et résilience, qui implique une densification urbaine et l’arrêt des constructions sur les espaces naturels et agricoles. A la question de savoir s’ils seraient «favorables à une augmentation de la densité urbaine dans les îlots urbains qui bénéficient de jardins privés», 73% répondent même favorablement. Les intentions résistent toutefois mal au passage de la théorie à la pratique: un Français sur deux aurait ainsi «envie de déménager» si son environnement immédiat devait se densifier, seuls 20% se disant prêts à l’accepter. 59% craignent que de nouvelles constructions issues d’une densification leur fasse de l’ombre, 60% redoutent de perdre la vue dont ils jouissent et 55% ont peur d’être eux-mêmes vus par ces futurs voisins. A noter que l’idée de surélévation suscite moins de réticences, avec 56% des personnes interrogées se déclarant «favorables à l’ajout d’étages supplémentaires aux bâtiments existants dans [leur] quartier afin d’accueillir plus de logements».



La sobriété foncière, c’est surtout la traduction de l’inquiétude climatique. Un moyen de contenir les ravages de l’étalement urbain, de préserver les terres agricoles, de maintenir nos villes habitables, de sanctuariser le vivre-ensemble. © pounais24 / Adobe Stock



La compensation par la nature

Le modèle «voiture-pavillon-jardin» hérité des années 1950 et 1960, à l’origine d’une grande part de l’étalement urbain et mécaniquement placé dans la ligne de mire des rédacteurs de la loi climat et résilience, occupe encore une place prépondérante chez les Français. Le panel interrogé plébiscite la «maison avec jardin en métropole» (18%), la «maison individuelle de type pavillonnaire située en zone périurbaine» (23%) et la «maison en zone rurale» (35%). Des pistes existent pourtant: les sondés seraient enclins à accepter une augmentation du nombre de logements dans leur voisinage si celle-ci s’accompagnait d’une «plus grande proximité avec la nature et les espaces verts» (36%), de la «renaturation d’espaces publics urbains» (31%) et d’une «augmentation des services apportés aux habitants du quartier» (29%). 

Une tâche ardue pour les élus
Cette question de l’acceptabilité est absolument centrale dans la perspective de la trajectoire ZAN. Elle est d’ailleurs revenue à de nombreuses reprises dans les débats. Pour l’urbaniste Amaury Krid, il s’agit d’être capable de concevoir «des projets urbains à la fois désirables et acceptables». Son confrère Gabriel Humbert, lui, prévient de «la nécessité de prendre conscience du rôle dévolu à la voiture et de s’interroger sur les contraintes induites par ce mode de développement». «Désirabilité» des projets, remise en cause du modèle de la voiture, abandon du sacrosaint pavillon: le travail de persuasion à opérer sur la population est colossal. Et la tâche n’est pas moindre pour ceux qui seront chargés de faire appliquer la réglementation: les élus locaux. Etat férocement centralisé, la France est une adepte du modèle anglosaxon «Top to bottom», qui impose aux collectivités une réglementation conçue et formalisée à Paris pour être ensuite appliquée indifféremment selon les territoires. Régulièrement décriée, cette méthode trouve incontestablement ses limites avec le ZAN. «Je le dis brutalement: une application en 2050 du ZAN me semble impossible. C’est même une connerie si on veut l’appliquer de façon uniforme sur le territoire national», tonne le président de la communauté de communes de l’île d’Oléron, Michel Parent. Plus policé dans la forme, le président de l’Association des maires de France, David Lisnard, n’en est pas moins déterminé: «Le ZAN tel qu’il est conçu aujourd’hui est une usine à gaz, dont nous dénonçons les risques depuis un bon moment au sein de l’AMF», avertit le maire de Cannes, qui plaide pour l’instauration d’un système de bonus-malus. 
La sobriété foncière, c’est surtout la traduction de l’inquiétude climatique. Un moyen de contenir les ravages de l’étalement urbain, de préserver les terres agricoles, de maintenir nos villes habitables, de sanctuariser le vivre-ensemble. Terres mena­cées de submersion à La Rochelle ou à Fort-de-France, sols appauvris par l’usage irraisonné d’engrais chimiques, villes polluées par la circulation et en mal de végétation: la trajectoire ZAN est un condensé de toutes ces questions. Au cœur de ces interrogations, les géomètres-experts ont un rôle à jouer en tant que chef d’orchestre de l’aménagement. En convoquant ces Assises nationales de la sobriété foncière, ils ont voulu aller au-delà, en invitant l’ensemble des acteurs concernés à se pencher sur l’avenir de notre planète, cette Terre dont «nous ne sommes, conclut le rapporteur général des Assises Philipe Pacaud, que des co-locataires». Un engagement fort, concrétisé à travers 17 propositions réfléchies, argumentées et prêtes-à-l’emploi que la profession entend désormais promouvoir auprès des décideurs.  

(1) Sondage Opinionway réalisé auprès de 1.004 personnes pour l’Ordre des géomètres-experts.





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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré aux Assises nationales de la sobriété foncière dans le magazine Géomètre n°2226, juillet - août 2024, en consultant notre page « Le magazine ».





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Au cœur des Assises nationales de la sobriété foncière