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Assises nationales de la sobriété foncière
Stopper l’étalement urbain

La mise en œuvre de la sobriété foncière pose de nombreux défis. Comment réussir à concilier enjeux environnementaux, économiques et qualité de vie? Telle est la question qui se pose, en ville comme à la campagne.
Carine Mayo | Le mercredi 24 juillet 2024
Paysage de Champagne. © Hesam Wide Shot / Adobe Stock

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La sobriété foncière en zone rurale et péri-urbaine

• Séance locale d’Epernay
• Jeudi 4 juillet, 8h300



Avec ses 400 participants, la session d’Epernay, capitale du Champagne, a fait salle comble. Dans le Millesium, parc des expositions donnant sur les vignobles, les échanges ont été animés. Comment changer un modèle d’urbanisation en vigueur depuis 70 ans? L’extension urbaine, rendue possible par la voiture et l’énergie peu chère, a été favorisée par l’Etat qui a promu la maison particulière, a rappelé l’urbaniste Amaury Krid, en citant la loi d’orientation foncière de 1967. De son côté, l’ingénieur hydraulique Quentin Araud a expliqué comment la rectification des cours d’eau et l’endiguement ont libéré un espace qui a été rendu constructible, si bien qu’aujourd’hui, 25% des Français vivent en zone inondable. La demande de logements, elle, est toujours importante et croît même plus vite que la population à cause de la diminution de la taille des ménages. Bien que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains de 2000 ait été instituée pour le limiter, l’étalement urbain, lui, se poursuit. Même si la tendance est passée de 30.000ha artificialisés par an à 20.000ha aujourd’hui. L’objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) à l’horizon 2050 permettra-t-il de stopper ce processus?

Des freins à lever
Cet effort risque d’être ralenti par le fait qu’il n’entrera en application qu’une fois inscrit dans les documents d’urbanisme (en 2026 pour les Scot, 2027 pour les PLU et PLUi), ce qui retarde sa mise en œuvre. En outre, plusieurs intervenants déplorent le manque de moyens financiers affectés à sa réalisation. «Aujourd’hui, toute la fiscalité sur le foncier incite à la construction neuve et se fait au détriment de l’ancien», a ainsi rappelé Michel Heinrich, grand témoin de la troisième table-ronde. Or, «réhabiliter l’ancien coûte plus cher, souvent, que de faire du neuf, avec des performances parfois un peu moins bonnes». La densification a aussi son revers: le foncier va devenir plus rare, donc plus cher, et ce, jusque dans les villages. Les collectivités et l’Etat vont devoir mettre la main au portefeuille, mais où trouver l’argent? Faut-il accentuer l’impôt foncier en zone d’extension urbaine et le réduire dans les zones qui n’engendrent pas d’artificialisation, comme le suggère Michel Heinrich? Ou bien ouvrir plus de zones urbanisables pour faire baisser les prix quitte à ne pas les urbaniser, comme le propose l’aménageur Emmanuel Weibel?

La fin de la maison individuelle?
Pour ce directeur du développement au Crédit Mutuel Immobilier, le pavillon, rêve de nombreux Français, a encore de beaux jours devant lui. «On peut arriver à des densités de l’ordre de 40 à 50 logements en maison individuelle sur un hectare», affirme-t-il. Et ce, d’autant plus que la demande concerne des surfaces plus petites. Mais pour rendre cette densité désirable, les aménageurs et les architectes doivent faire preuve de créativité. Ainsi, Emmanuel Weibel plaide pour «une approche paysagère, fine» et sans «vue d’un logement à l’autre». Les intervenants se prononcent tous en faveur d’une densification douce. L’une des pistes consistant à inciter les propriétaires d’un pavillon à vendre une partie de leur terrain pour y construire un autre logement. C’est le concept Bimby (built in my back yard, littéralement construire dans mon jardin).
Parfois aussi, la présence d’anciens sites industriels incite les villes à créer de nouveaux quartiers sur leur emplacement, ce qui limite l’extension urbaine. C’est le cas de Troyes, qui accueillit de nombreux sites de bonneterie et de teintureries ou encore d’Epernay qui abrita des ateliers SNCF de réparation et de construction de locomotives. Aujourd’hui, la cité champenoise construit sur cette friche l’écoquartier Berges de Marne qui réunira des logements, des services et un parc urbain. «L’idée, c’est de retrouver des mobilités douces le long de la rivière», explique Joachim Verdier, adjoint à l’urbanisme à la mairie d’Epernay. Mais construire sur un ancien site industriel n’est pas toujours facile, notamment en raison du coût de la dépollution, qui peut conduire les aménageurs à densifier le nombre de logements pour mieux valoriser l’opération, à moins que la collectivité ne la finance. En outre, si la friche se situe en zone sujette à inondation, il faut sécuriser la partie réservée à l’urbanisation, ce qui peut conduire à sanctuariser une zone réservée à la rivière, alors que, dans une logique d’optimisation de l’espace, on souhaiterait la densifier. Le problème, c’est que «les bureaux d’études hydrauliques interviennent à la fin des projets», déplore Quentin Araud, alors que les contraintes environnementales devraient être prises en compte en amont.

Inclure le milieu rural
Selon une étude menée par la Fédération nationale des Scot, 60% des élus craignent de ne pas disposer de foncier suffisant pour mener à bien des projets d’aménagement. Ainsi, Alain Toubol, directeur de l’établissement public foncier de Grand-Est relève une inquiétude dans certains territoires reposant sur cette idée: «On n’a pas pu se développer hier et on ne pourra pas le faire demain». Une autre crainte est liée au phénomène de compensation qui impacte le milieu rural. En effet, la mise en œuvre de l’objectif ZAN implique que des espaces de nature soient créés à proportion égale des espaces artificialisés. Si cette dynamique peut favoriser l’extension des forêts, elle peut à l’inverse entraîner une diminution des terres agricoles. Dominique Métreau, chef de service gestion du territoire à la chambre d’agriculture d’Alsace, a ainsi clairement exprimé la crainte des agriculteurs de voir «des hectares de betteraves, de maïs, de blé» remplacés par «de l’herbe qui décore» au nom de la désartificialisation. En Alsace, la compensation est un sujet sensible. La création du grand contournement ouest de Strasbourg «a consommé 350ha de terres agricoles», relève Dominique Métreau, auxquels il faut ajouter «plus de 1.200ha de mesures compensatoires environnementales». Aussi les agriculteurs demandent-ils que la compensation soit correctement rémunérée et établie en concertation avec eux afin de respecter le plus possible leur travail de production.

Le rôle des géomètres-experts
L’aménagement foncier agricole forestier et environnemental (Afafe) «sera sûrement un outil très fort pour répondre aux enjeux de la sobriété foncière, notamment par rapport à la compensation», estime le président de séance Vincent Roth. Cet outil, que seuls les géomètres-experts peuvent utiliser (lire aussi page 48), constitue une aide pour restructurer les exploitations agricoles ainsi que les forêts morcelées en parcelles privées, afin par exemple d’améliorer la production de bois et de créer des chemins d’accès dans le cadre de la lutte contre les incendies. Pour Vincent Roth, «la réussite de la sobriété foncière dépendra de l’articulation que nous proposerons entre les territoires urbains et ruraux». Et tous les intervenants s’accordent pour dire qu’il faut davantage de concertation à toutes les échelles. Ouvrir des espaces de dialogue, c’est pour eux la condition nécessaire pour atteindre l’objectif du zéro artificialisation nette. 



TÉMOIGNAGE
«Le milieu rural, c’est l’épicentre de toutes les transitions»


© D.R.

Les territoires ruraux ont des atouts: cadre de vie, développement de l’artisanat et des énergies renouvelables... Reste à les conjuguer avec la sobriété foncière. Entretien avec Michel Heinrich, président du syndicat Scot des Vosges centrales et de la communauté d’agglomération d’Epinal.

Les centres-villes de nombreux bourgs se désertifient au profit de leur périphérie. Comment les revitaliser?
Michel Heinrich: On peut densifier en utilisant la démarche Bimby (built in my back yard, ou construire dans mon jardin). Ou encore transformer le bâti vacant, dégradé, ou bien très grand, en plusieurs logements. Sur l’agglomération d’Epinal, on a apporté de l’ingénierie sous forme d’un conseil gratuit et neutre. C’est la collectivité qui a financé le projet avec le soutien de la région et du département. Ces opérations devraient être généralisées à l’ensemble du territoire. Ce serait un élément important dans la résolution de la problématique de la disponibilité foncière.

La réindustrialisation de la France et le développement des énergies renouvelables sont-ils compatibles avec l’objectif du zéro artificialisation nette?
M.H.: On est dans une injonction contradictoire. Aujourd’hui, la réindustrialisation de la France, ça marche, on le voit. Donc tout ça va être très consommateur d’espace et on va avoir un moment de complexité à résoudre. Est-ce que l’Etat, les collectivités ne doivent pas rester propriétaires du foncier et faire des baux sur plusieurs années plutôt que de créer des zones d’activité et de les vendre? Je pense aussi qu’il y a un gros potentiel en matière de développement d’énergie renouvelable dans le milieu rural. Il faut savoir que l’éolien est assez peu consommateur d’espace. Et pour le photovoltaïque, il faut travailler l’agrivoltaïsme... Mais le véritable agrivoltaïsme, celui qui ne nuit pas à la production agricole. On a là un enjeu très important de souveraineté alimentaire, mais aussi de souveraineté énergétique.

Quelle aide peut apporter la Fédération des Scot?
M.H.: Nous intervenons pour conseiller juridiquement tous les établissements qui font des Scot et faire l’interface entre les élus et les ministères quand ils nous écoutent. On a édité un guide des bonnes pratiques d’aménagement pour qu’elles puissent être développées ailleurs. La Fédération a aussi pour vocation de travailler avec d’autres professions, avec les géomètres-experts évidemment, mais aussi avec les aménageurs, etc.





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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré aux Assises nationales de la sobriété foncière dans le magazine Géomètre n°2226, juillet - août 2024, en consultant notre page « Le magazine ».





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