Aménagement foncier
Construire aujourd’hui les campagnes de demain

Le passager du TGV n’y pense sans doute jamais. Mais, lorsqu’il observe le paysage rural défiler à plus de 300km/h sous ses yeux, c’est bien souvent le fruit d’années de labeur qui s’offre à son regard. Celui des agriculteurs, évidemment, qui travaillent parfois ces terres depuis des siècles. Mais aussi celui de tous ceux qui ont accepté de se lancer dans une opération d’aménagement foncier agricole, forestier et environnemental (Afafe).
Autrefois connue sous le nom de remembrement, cette procédure est aujourd’hui bien loin de la caricature héritée des années d’après-guerre, pendant lesquelles la France agricole s’est transformée à marche forcée, arrachant les haies et agrandissant les champs pour faire place à la modernité. Instrument de rationalisation de l’usage et de la répartition des terres agricoles, l’Afafe permet de proposer un développement harmonieux, accepté à la fois par le monde agricole et par la population, tout en intégrant à l’ensemble une forte dimension environnementale. Mais les Afafe ne se limitent pas à cela: elles permettent aussi d’encadrer les opérations dites «linéaires», liées à la construction d’une route ou d’une voie ferrée.
Un besoin exprimé par la commune et encadré par le département
Encadrées par les départements, qui ont la compétence en la matière, les Afafe viennent régulièrement du terrain, de communes qui ont identifié un besoin et tentent de trouver la meilleure solution pour aménager leur foncier. «C’est souvent un besoin exprimé par les exploitants agricoles de la commune, qui se retrouvent avec de multiples parcelles suite aux différentes successions et acquisitions», observe Sébastien Gouttebel, maire de Murol (Puy-de-Dôme) et vice-président de l’Association des maires ruraux de France. «Quand on regarde un pré, on a l’impression qu’il fait 1,5ha mais en fait il y a là vingt parcelles…» A ce découpage foncier complexe s’ajoute souvent une dimension affective vis-à-vis de terres qui colportent la plupart du temps une histoire familiale et entrepreneuriale. «Tout ça s’est construit au fil des générations et, quand on explique à un exploitant que le pré qu’il avait à tel endroit ne sera plus le sien, qu’il va être attribué à un autre, les gens ont l’impression d’être dépossédés», confirme Sébastien Gouttebel
© rochagneux / Adobe Stock
L’évolution technique de l’agriculture joue elle aussi un rôle prépondérant: «La taille des engins a explosé. Ils sont énormes et ne passent plus par les anciennes voies communales et les anciens chemins ruraux. Vu le matériel agricole qu’il y a maintenant, des tracteurs qui mesurent 3m de large parfois, ça ne passe plus! Le remembrement agricole est aussi l’occasion de dire aux exploitants: OK, la mairie, avec l’aide du département, aménagera des voies calibrées, nécessaires à l’exploitation. Mais pour ça, il faut rétrocéder du terrain».
Plus largement, «la question, c’est: comment rendre l’aménagement foncier acceptable par le monde agricole tout en insistant sur la notion de protection de l’environnement?», renchérit pour sa part Florent Bonet Langagne, ingénieur principal chargé de projet au sein du service aménagement foncier du département du Pas-de-Calais. La réponse? «Il faut être dans du “donnant-donnant”. On finance l’opération, mais en contrepartie d’une exigence environnementale élevée. Chez nous, c’était la question du ruissellement», indique le technicien, qui a travaillé sur un ambitieux projet avec le cabinet de géomètres-experts Géomat. Dans la zone de Pas-en-Artois, victime d’inondations destructrices en 2015 et 2016, l’opération d’Afafe a permis d’engager une réflexion sur l’opportunité de replanter des haies afin de limiter le ruissellement, d’une part, et de favoriser la biodiversité, d’autre part. Au total, c’est un linéaire de 53km de haies qui a été retenu et dont le rôle, couplé à la création d’ouvrages de stockage, doit permettre de limiter les ruissellements et l’érosion des sols afin de pouvoir encaisser une pluie de retour vingt ans.
Les géomètres-experts au cœur des opérations
Qu’il s’agisse de réorganiser le parcellaire agricole, de contenir la furie des eaux, de travailler à préserver l’environnement ou de réfléchir à encadrer l’impact du passage d’une autoroute, les géomètres-experts agréés par le ministère de l’Agriculture sont, à travers leur rôle dans les Afafe, au cœur de ces opérations d’aménagement.
Spécialistes du foncier, habitués aux négociations, ils œuvrent, au sein d’équipes pluridisciplinaires, à repenser des territoires en maintenant les fragiles équilibres de nos régions, entre maintien et développement des exploitations agricoles, préservation de la nature et amélioration globale du cadre de vie. De quoi apprécier différemment le panorama qui s’étend au-delà de la fenêtre de nos TGV.
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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré à l’aménagement foncier dans le magazine Géomètre n°2234, avril 2025, en consultant notre page «Le magazine».
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• Aménager pour protéger les territoires