Première instance
Quand la sensibilité écologique du tribunal donne un jugement inattendu
Les propriétaires d’une maison d’habitation sont importunés par la présence d’un tulipier du Japon, planté sur la parcelle contigüe, à moins de deux mètres de la limite séparative et mesurant plus de deux mètres de hauteur. Ils se plaignent également qu’outre le non-respect des distances de plantation, l’arbre litigieux leur procure des désagréments divers, tels que la perte d’ensoleillement, l’encombrement de la gouttière et la gêne à l’ouverture d’une fenêtre de toiture. Ils font donc assigner leur voisin devant le tribunal judiciaire de Nantes en fondant leur demande notamment sur les dispositions des articles 671, 672 et 673 du Code civil (lire ci-dessous).
L’arbre ne bénéficiant pas de la prescription trentenaire, en l’absence de titre, de destination du père de famille et d’usages locaux contraires, la règle de droit s’appliquait, ce qui avait pour conséquence que le voisin aurait dû être condamné à l’arracher, puisque, de l’avis d’un paysagiste, il n’aurait pas supporté un étêtement à moins de deux mètres de hauteur qui lui aurait été «fatal».
Une position fragile
Le juge reconnaît la situation illicite de l’arbre en question, mais s’oppose à l’application de la règle de droit en relevant qu’il «présente une importance sur le plan environnemental indéniable, faisant partie d’un ensemble végétalisé participant à la préservation de l’écosystème local» et qu’il «apporte un bénéfice à la collectivité [...] par les bienfaits environnementaux qui s’évincent de toute végétation».
Il s’appuie, pour justifier sa décision, sur l’article 2 de la Charte de l’environnement de 2004 qui a valeur constitutionnelle, puisqu’elle a été intégrée au «bloc de constitutionnalité» à la faveur de la révision constitutionnelle du 1er mars 2005. Cet article 2 précise que «toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement». Il considère donc que l’arrachage du tulipier du Japon causerait un dommage à l’environnement et qu’il n’est pas nécessaire eu égard aux inconvénients subis par les requérants.
On peut considérer la position fragile au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 7 mai 2014 (n°2014-394) qui, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, avait jugé qu’«eu égard à l’objet et à la portée des articles 671 et 672 du Code civil, l’arrachage des végétaux ainsi prévue est insusceptible d’avoir des conséquences sur l’environnement».
Toutefois, la brèche est ouverte et le principe de proportionnalité, déjà appliqué pour refuser dans certains cas la démolition d’un immeuble d’habitation qui empiète, en prenant en compte le respect du domicile protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, pourrait un jour s’étendre aux articles 671, 672 et 673 du Code civil.
Les 3 articles du Code civil
Article 671 «Il n’est admis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par les usages constants et reconnus, et à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations...»
Article 672 «Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l’article précédent, à moins qu’il n’y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire...»
Article 673 «Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper [...].
Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible.»