Avis d’expert
«Le permis à destinations multiples est une réelle innovation»
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
La proposition de loi (PPL) du 7 mars doit porter une simplification des mesures d’urbanisme pour faciliter la transformation de bureaux en logements. Que faut-il en retenir?
Arthur Gayet: La principale innovation portée par ce texte est le permis de construire à destinations multiples. Il revient sur un principe clair en droit de l’urbanisme: une autorisation est donnée pour une ou plusieurs destination(s) autorisée(s) par le plan local d’urbanisme (PLU). L’outil proposé par la PPL est très ouvert: il n’y a pas d’application dans le temps, pas d’encadrement dans l’ordre ou le nombre des destinations autorisées... Il est donc difficile de savoir quel en sera l’impact sans ses textes d’application. Mais l’idée est intéressante, elle permettrait des projets évolutifs; cela va dans le sens des besoins actuels. Si elle allait au bout, ce serait même une petite révolution. Pour l’heure, il est souvent plus facile de construire que de travailler sur l’existant. Pour que cela fonctionne, il faudra mener en parallèle un travail de rapprochement entre différentes législations, notamment entre les normes applicables aux différentes destinations au titre du code de la construction.
Le «permis à destinations multiples» est présenté comme la suite logique du «permis à double état», créé par la loi «JO 2024» de 2023 pour la construction des ouvrages olympiques. Est-ce exact?
A.G.: Oui, le permis de construire à destinations multiples est dans la continuité de ce permis à double état, mais aussi, de manière plus indirecte, du «permis d’innover» prévu par la loi Elan de 2018. Mais l’outil de la PPL du 7 mars va plus loin: alors que le permis à double état n’autorise qu’une destination provisoire et une destination définitive, le texte du 7 mars ne pose pas de limite au nombre de destinations, ni à leur ordre. Cet outil se veut beaucoup plus libre et ambitieux.
Arthur Gayet
«L’objectif est de permettre une évolution des modes d’occupation sans attendre une modification ou une révision du document d’urbanisme, procédures pouvant durer plusieurs années.»
A côté de ce permis à destinations multiples, le texte prévoit une nouvelle dérogation au PLU...
A.G.: Si le permis à destinations multiples a vocation à encadrer les futures constructions, la dérogation au PLU a, quant à elle, pour objet de faciliter la transformation des bâtiments existants. Il s’agit d’autoriser, sous conditions, le changement de destination de bureaux ou de «locaux affectés à des administrations publiques» en habitations, en principe interdit par le règlement du PLU. L’objectif est de permettre une évolution des modes d’occupation sans attendre une modification ou une révision du document d’urbanisme, procédures pouvant durer plusieurs années.
L’un des freins au développement de ces projets n’est-il pas la fiscalité?
A.G.: Si, mais la réponse est dans le texte. Il prévoit une adaptation de la taxe d’aménagement pour qu’elle s’applique aussi à la transformation de surfaces, et non pas seulement à leur création. Une possibilité offerte aux collectivités qui restent décisionnaires. Cette adaptation concerne également les projets urbains partenariaux (PUP). La rédaction en l’état du texte (avant passage devant le Sénat – Ndlr) suscite également quelques interrogations. La dérogation vise, outre les bureaux, les «locaux affectés à des administrations publiques», notion non prévue par le code. Par ailleurs, elle s’applique aux seuls permis de construire, alors qu’un changement de destination peut être soumis à une déclaration préalable. Cela étant, il fait l’objet d’un accueil favorable des collectivités.
Une grande loi de décentralisation et du logement se fait toujours attendre. Que faut-il espérer de cette nouvelle PPL «de niche»?
A.G.: Cette PPL met les collectivités au cœur du dispositif, puisqu’il leur reviendra de décider d’autoriser ou non le dépôt de permis à destinations multiples sur leur territoire, d’appliquer la taxe d’aménagement aux projets de transformation ou d’apprécier le bien-fondé d’une demande de dérogation. Le texte participe également aux objectifs poursuivis en matière de logement comme la loi dite «habitat dégradé», du 9 avril 2024, de sobriété foncière, alors que le ZAN suscite encore des questionnements et fait l’objet de groupes de suivi au Sénat. En matière d’urbanisme, tout est très mouvant et imbriqué...