Vulnérabilité
Le réchauffement climatique pèse sur la santé des forêts françaises
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
La planète se réchauffe, et la forêt française souffre. Tel est le constat dressé par l’Inventaire forestier national (IFN), un service de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) dont la mission est de dresser l’inventaire permanent des ressources forestières françaises. Alors que 2022 avait été marquée par des feux devenus incontrôlables, les arbres ont continué de souffrir en 2023, notent les auteurs de cette étude (1). «Moins spectaculaire que les tempêtes hivernales ou les incendies estivaux», ce phénomène de dépérissement «n’en est pas moins inquiétant pour l’avenir des forêts», prévient l’IGN, qui souligne que la compilation des cinq dernières campagnes de l’IFN «montre les effets concrets du changement climatique sur les forêts françaises et leur croissance». Si cette vulnérabilité est «un phénomène qui remonte à plusieurs années», confirme Stéphanie Wurpillot, cheffe du service de l’information statistique forestière et environnementale à l’IGN, rappelant diverses périodes compliquées pour la forêt française comme «les pluies acides des années 1980, la tempête de 1999, la canicule de 2003 ou la tempête Klaus en 2009», le réchauffement global entraîne incontestablement «une forme d’accélération au cours de la dernière décennie.
Mortalité et croissance en berne
L’IGN relève quatre faits marquants, qui sont autant de traductions de la vulnérabilité des forêts françaises. D’abord, un phénomène d’accélération de la mortalité des arbres. Les chiffres donnent la mesure de la crise: la mortalité des arbres est passée de 7,4 millions de mètres cubes par an (Mm3/an) entre 2005 et 2013 à 13,1Mm3/an entre 2013 et 2021, soit une hausse de près de 80% en dix ans. Préoccupante, cette hausse doit toutefois être mise en rapport avec le stock de bois total de la forêt française, qui est aujourd’hui de 2,8 milliards de mètres cubes. Si les arbres meurent plus, leur croissance est également impactée. Là encore, les chiffres sont révélateurs: la croissance des arbres a diminué de manière régulière ces dernières années, passant de 91,5Mm3/an entre 2005 et 2013 à 87,8Mm3/an entre 2013 et 2021, soit une baisse de 4%. Pourquoi cette chute? Le constat dressé par l’IFN est sans ambiguïté: «La dégradation de l’état de santé des forêts constatée ces dernières années est à mettre en lien avec les changements climatiques qui se manifestent en particulier par des températures plus chaudes et des sécheresses plus fréquentes que par le passé. Ces changements favorisent notamment la prolifération des bioagresseurs», indiquent les auteurs de l’étude. Exemple de cette inquiétante évolution: le sort de l’épicéa commun, qui est désormais l’essence la plus touchée par la mortalité, devant le châtaignier et le frêne. Pour l’épicéa, l’ennemi a un nom: le scolyte. Egalement appelé «tueur d’arbres», cet insecte ravageur, qui appartient à l’ordre des coléoptères et dont la population est contrôlée par des facteurs naturels tels que le climat, les prédateurs et les incendies, creuse des galeries dans le cambium (une couche située sous l’écorce) pour y déposer ses œufs, condamnant ainsi les arbres touchés.
«La forêt doit nous aider à atténuer le changement climatique tout en s’adaptant elle-même aux conséquences de ce changement.»
Hausse de la mortalité, chute de la croissance: lequel de ces deux dangers faut-il redouter le plus? «Les deux phénomènes sont liés, observe Stéphanie Wurpillot. Si on devait faire une comparaison: un humain qui est mal nourri, qui présente des carences, a plus de risques de mourir qu’un humain en bonne santé. C’est exactement la même chose pour les arbres. Ceux qui ont des problèmes de croissance sont plus vulnérables et donc plus susceptibles de succomber aux facteurs de mortalité secondaires.» La réelle inquiétude des forestiers concerne en fait l’état sanitaire de la forêt. Aujourd’hui, 670.000 ha de forêt sont qualifiés de «dépérissants». Une surface de forêt dépérissante, «c’est une surface sur laquelle 20% des arbres sont morts ou comptent plus de 50% de branches mortes», précise la technicienne de l’IGN. Si l’on peut relativiser les chiffres en matière de mortalité ou de ralentissement de la croissance, ces 670.000 ha de forêt dépérissante représentent en revanche une surface considérable au regard des 17,3 millions d’hectares de la forêt française. Pour établir une comparaison, cela correspond aux surfaces brûlées en France par les incendies de forêt sur les trente-cinq dernières années.
Or, si la forêt va mal, elle peine mécaniquement à remplir son rôle. Et ce, alors qu’on en attend toujours plus d’elle. «La forêt doit nous aider à atténuer le changement climatique tout en s’adaptant elle-même aux conséquences de ce changement», souligne Stéphanie Wurpillot. En apparence, pourtant, les forêts françaises sont en pleine forme. Dans l’Hexagone, la forêt représente aujourd’hui 17,3 millions d’hectares, soit 31% du territoire, c’est-à-dire l’occupation du sol la plus importante après l’agriculture. Depuis près de deux siècles, la superficie forestière métropolitaine a considérablement augmenté. De dix millions d’hectares en 1908, soit 19% du territoire, la surface recouverte par la forêt a bondi à 14,1 millions d’hectares en 1985, jusqu’aux 17,3 millions d’hectares d’aujourd’hui. Le stock de bois des arbres vivants a également connu une très forte progression, passant de 1,8 milliard de mètres cubes en 1985 à désormais 2,8 milliards de mètres cubes, soit une croissance supérieure à 50% en une trentaine d’années.
Malgré cette évolution quantitative, la forêt pourrait peiner demain à assurer l’une de ses fonctions essentielles: celle du stockage de carbone, primordial dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Les arbres forestiers vivants (branches et racines comprises) représentent un stock de 1,3 milliard de tonnes de carbone. Ce stock a crû de 17% entre les périodes 2005-2009 et 2018-2022. Ainsi, chaque hectare de forêt en France constitue en moyenne un stock de 81 tonnes de carbone contre 73 tonnes sur la période 2005-2009. Bien que le stock de carbone continue donc à augmenter, les résultats de l’IFN montrent toutefois depuis quelques années un ralentissement notable de la dynamique du puits de carbone.
Le puits de carbone s’essouffle
Conséquence de l’essoufflement de cette dynamique, la forêt remplit avec moins d’efficacité sa fonction de puits de carbone. «Le puits de carbone augmente avec la croissance des arbres, détaille la cheffe du service de l’information statistique forestière et environnementale de l’IGN. De cette croissance, il faut ensuite déduire la mortalité et les prélèvements de bois. Nous avons connu une période avec une croissance forte, conjuguée à une mortalité et des prélèvements faibles, ce qui générait une augmentation du puits de carbone. Aujourd’hui, la croissance est plus faible, la mortalité est en hausse et les prélèvements également. Résultat: la dynamique du puits de carbone ralentit.»
Alors, comment infléchir la tendance et, surtout, comment assurer la pérennité des forêts françaises? «Certains endroits gagnent en surface forestière mais, globalement, la qualité de la forêt, elle, se dégrade», remarque Stéphanie Wurpillot. Avec le changement climatique, les forestiers se retrouvent face à un défi, au-delà de celui du morcellement parcellaire des forêts privées qui handicape leur gestion (2). Il leur faut notamment renouveler la forêt en choisissant des essences adaptées à la nouvelle donne climatique. Mais il s’agit là d’un travail qui s’inscrit dans le temps long et comporte plusieurs inconnues, car il faut aussi tenir compte de l’évolution de la ressource en eau et de la capacité de la forêt à évoluer par sélection génétique naturelle.
(1) Sources: IGN / Inventaire forestier national.
(2) Lire Géomètre n°2207, novembre 2022.