Prescription acquisitive
Une proposition d’achat par le possesseur rend-elle sa possession équivoque?
Suivant les dispositions de l’article 2261 du Code civil, «pour pouvoir prescrire il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire». Pour contrecarrer la revendication de prescription acquisitive par le possesseur, l’équivoque est souvent invoquée par le propriétaire en titre, notamment lorsque le possesseur lui a fait une proposition d’achat de la partie qu’il voulait prescrire, ou qu’il a reconnu implicitement dans un courrier qu’il n’était pas propriétaire.
En effet, ce faisant, le possesseur, reconnaissant la propriété du propriétaire en titre, n’accomplit pas les actes de possession «à titre de propriétaire» et la prescription n’est donc pas acquise.
C’est ce qui ressort d’un arrêt du 4 juillet de la Cour de cassation (1). La Cour donne raison à un arrêt d’appel qui rejetait la demande des appelants tendant à se voir reconnaître propriétaires par prescription acquisitive d’une bande de 5m jouxtant leur terrain, aux motifs que les possesseurs, par deux lettres des 23 novembre et 3 décembre 1975, avaient demandé une autorisation de passage sur cette bande de terrain afin d’effectuer des travaux sur leur propre parcelle. Les actes matériels effectués par les demandeurs, à partir de 1975 jusqu’à 2015, ne l’étaient donc pas à titre de propriétaire. La possession était donc viciée et la prescription ne pouvait pas être reconnue.
Mais qu’en est-il si une proposition d’achat par le possesseur intervient alors que celui-ci a peut-être déjà acquis le terrain convoité par prescription acquisitive trentenaire? La solution est cette fois-ci donnée par l’arrêt de la Cour de cassation du 26 septembre (2). Dans cette affaire, M. et Mme (S), propriétaires d’un fonds, assignent les propriétaires du fonds voisin, M. et Mme (P) en démolition d’une rampe d’accès goudronnée, d’une partie d’un portail, d’une clôture et d’une partie d’un poolhouse empiétant sur leur fonds, et remise en état des lieux. Les défendeurs, reconventionnellement, revendiquent par prescription acquisitive trentenaire la propriété du terrain sur lequel les ouvrages sont construits.
La cour d’appel de Grenoble, par un arrêt du 6 juillet 2021, condamne M. et Mme (P) à démolir les ouvrages irrégulièrement implantés sur la propriété voisine au motif que leur auteur, M. (L), avait fait par courriers des 17 avril et 23 juillet 2001, à M. et Mme (S) et à leur notaire, une proposition d’achat du terrain supportant les ouvrages illicites et qu’en conséquence sa possession n’avait pas pu être exercée «à titre de propriétaire».
Mais l’arrêt retient qu’il n’est pas contesté que le pilier du portail et la clôture datent des années 1960 et que le poolhouse a été construit avant 1980. La Cour de cassation s’appuie sur ces constatations de la cour d’appel pour lui reprocher de ne pas avoir recherché si, à la date à laquelle il avait proposé d’acquérir la bande de terrain litigieuse, M. (L), auteur de M. et Mme (P), n’avait pas déjà acquis celle-ci par prescription trentenaire. Il faut donc en conclure que, si la proposition d’achat est faite alors que la prescription trentenaire est déjà acquise, elle ne rend pas la possession équivoque.
(1) Cass. 3 civ,. 4 juillet 2024, n°23-16.107.
(2) Cass. 3 civ., 26 septembre 2024, n°22-22.069.