Avis d’expert
«La compensation environnementale doit faire partie intégrante du projet»
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
Créé en 2016 par la loi biodiversité, le dispositif de compensation environnementale est encore peu – ou mal – utilisé. Comment l’expliquez-vous?
Marc Kaszynski: Cela peut s’expliquer par la façon dont on s’est saisi du sujet. Souvent, dans les projets d’aménagement qui nécessitent du foncier pour la compensation, quand on est au pied du mur et qu’on doit en trouver, il est déjà trop tard. Dans la séquence ERC (éviter-réduire-compenser), la compensation arrive à la fin. En positionnant ce sujet en aval, on ne se donne pas les moyens de trouver les sites adaptés et les moyens financiers nécessaires. Les projets se retrouvent ainsi bloqués, et les maîtres d’ouvrage baissent parfois les bras. C’est ce qui explique l’échec de cette démarche – théoriquement solide – qui, dans la réalité de la conduite de projet, devient inopérante.
Le laboratoire d’initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti) a dévoilé en juin dernier le résultat de ses travaux sur le sujet, avec des pistes d’évolution importantes...
M.K.: Nous proposons de travailler en anticipation, en misant sur la compensation par l’offre. Si cette question est posée en amont, on peut réduire l’impact de la consommation foncière. Le fait de déplacer les questions d’aménagement vers des espaces déjà anthropisés est un changement de méthode. C’est la même démarche que pour les sites pollués: la question de la pollution ne peut pas être traitée à la fin. La compensation doit donc faire partie intégrante du projet, et devenir itérative. Le phasage dans le temps est central: une fois le projet réalisé, on ne s’arrête pas pour autant. L’enjeu est sur le temps long pour constater les résultats de la compensation. La question de la responsabilité du maître d’ouvrage est donc essentielle. Le Lifti propose d’introduire dans la loi la possibilité d’un transfert de responsabilité, à l’instar du mécanisme de tiers-demandeur prévu pour les sites et sols pollués. Une fois la phase d’investissement de travaux d’ingénierie écologique réalisée, on peut imaginer que les phases de suivi et d’évaluation soient gérées par un autre opérateur, avec, en tête, l’objectif de mesures à portée pérenne.
Marc Kaszynski
«Nous proposons de travailler en anticipation, en misant sur la compensation par l’offre. Si cette question est posée en amont, on peut réduire l’impact de la consommation foncière.»
Quels opérateurs seraient les plus appropriés?
M.K.: Dans nos travaux, nous mettons en avant le rôle stratégique des collectivités à travers les documents d’urbanisme. Renvoyer à un acteur central est une impasse: les collectivités portent une responsabilité au titre de l’aménagement du territoire, et travaillent déjà sur le sujet, à l’instar des départements en matière d’espaces naturels sensibles.
Des opérateurs privés ou parapublics comme CDC Biodiversité, ainsi que les établissements publics fonciers pourraient être des opérateurs intéressants. Mais ces derniers n’ont pas la possibilité de conserver des terrains ad vitam aeternam, agissant dans le cadre de conventions de portage. Et les engagements des sociétés privés ne peuvent s’affranchir des aléas du marché. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut distinguer la géographie des projets de la responsabilité politique; c’est pourquoi le niveau des shémas de cohérence territoriale (Scot) et plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) est intéressant. On pourrait ainsi imaginer des mécanismes d’ingénierie foncière sur plusieurs niveaux, en distinguant les périmètres de mutualisation opérationnelle des périmètres politiques.
La loi industrie verte de 2023 remplace les sites naturels de compensation par les sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation, qui devront faire l’objet d’un agrément préfectoral. Pour l’obtenir, il suffira de démontrer le gain écologique «attendu», et non plus «obtenu». Qu’en pensez-vous?
M.K.: La loi industrie verte ne se fonde plus sur le cycle naturel de compensation, qui a montré ses limites. Les sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation (SNCRR), qui doivent remplacer les sites naturels de compensation (SNC), élargissent leur champ d’utilité publique. Ces sites pourront aussi être des réceptacles des mesures de renaturation liées au ZAN. Mais cette loi vise surtout à porter des projets prioritaires portés par l’Etat, dans un mouvement recentralisateur qui n’associe pas suffisamment les collectivités... Pourtant les plus à mêmes d’organiser les stratégies foncières nécessaires à l’intégration des grands projets dans le développement des territoires.