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Diagnostic de performance énergétique
Performance énergétique du logement et consommation d’énergie: le grand flou

Outil devenu incontournable dans l’univers du logement, le diagnostic de performance énergétique (DPE) livre-t-il une information aussi fidèle qu’espérée? Une étude publiée au mois de janvier par le Conseil d’analyse économique remet partiellement en cause la fiabilité de ce dispositif.
Samuel Ribot | Le jeudi 1 février 2024
Les usagers adaptent leur comportement notamment en fonction de leurs revenus. © dusanpetkovic1 / Adobe Stock

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Depuis quelques années, il n’est plus question que de lui. Qu’il s’agisse d’un achat, d’une rénovation, d’une construction, ou plus largement de la définition des politiques publiques en matière de logement, de construction et de maîtrise de la consommation d’énergie, le diagnostic de performance énergétique (DPE) est l’instrument de mesure que tout le monde scrute. D’autant que, depuis le 1er juillet 2021, le DPE, qui classe les logements en fonction de leur efficacité énergétique et climatique allant de A (la plus efficace) à G (la moins efficace), est passé du statut d’élément d’information à celui d’argument opposable. Mais que vaut réellement ce thermomètre? C’est ce qu’a cherché à savoir le Conseil d’analyse économique, une structure rattachée au Premier ministre composée de chercheurs et d’universitaires. Un travail qui a été abordé de façon originale, puisqu’il s’est en partie appuyé sur les données bancaires anonymisées de 178110 ménages clients du Crédit mutuel Alliance fédérale, et sur le travail d’analyse fourni par Euro-information, une filiale spécialisée du groupe bancaire.
Avant toute chose, les auteurs de l’étude rappellent l’existence de plusieurs biais. «La consommation théorique, calculée par le DPE, et la consommation réelle peuvent différer, car la première n’incorpore pas les comportements des ménages», indiquent-ils en préambule. Moins le logement est performant et plus ses occupants, dans un souci de sobriété, auront en effet tendance à limiter leur consommation énergétique. A l’inverse, les occupants de logements présentés comme très performants se laisseront plus facilement aller à dépenser au-delà de la consommation théorique à laquelle ils devraient se conformer. Le résultat de ces effets d’adaptation, que le DPE est incapable de déceler, est qu’on en vient à surestimer les gisements d’économie d’énergie.

Un diagnostic pas toujours professionnel
Deuxième faiblesse du DPE: il ne modélise pas forcément correctement la performance énergétique. La méthode 3CL (calcul de la consommation conventionnelle des logements), qui permet d’évaluer la consommation comme les rejets de CO2 d’un logement, s’appuie en effet sur la performance énergétique conventionnelle des caractéristiques physiques du logement (bâti, isolation, chauffage, ouvertures, etc.) pour estimer une consommation énergétique au mètre carré. Or, rappellent les auteurs de l’étude du CAE, «la performance conventionnelle attribuée au bâti et aux équipements peut surestimer leur performance réelle, notamment en raison de malfaçons techniques. [...] De plus, la performance énergétique peut être difficile à évaluer lorsque les caractéristiques physiques du logement ne sont pas homogènes du fait de différentes phases de rénovation». Mais ce n’est pas tout. Dans la mesure où les besoins énergétiques sont calculés en fonction de la surface déperditive du logement (sol plus murs extérieurs), puis rapportés à la surface au sol, la méthode 3CL, observent les auteurs, «conduit à noter différemment deux logements aux caractéristiques semblables mais de superficie différente». Résultat, l’étiquette DPE se révèle plus faible pour les petites superficies où le rapport surface déperditive par rapport à la surface au sol est plus élevé. La conclusion est limpide: la précision du diagnostic peut varier non pas en fonction des qualités du logement, mais de sa seule superficie. Troisième biais à surveiller, d’autant qu’il relève là d’une intentionnalité, le DPE est «manipulable». Régulièrement épinglées par les experts et les associations de consommateurs, les pratiques des diagnostiqueurs sont si peu harmonisées – et parfois si peu professionnelles – qu’un même logement peut se voir attribuer une note allant... de B à E! 
C’est pour mesurer l’ampleur des écarts existants entre les DPE annoncés et la pratique que les auteurs de l’étude ont choisi de croiser les données bancaires, qui renseignent sur la dépense d’énergie (via les factures) avec les données de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui répertorie de son côté l’ensemble des DPE réalisés depuis 2021. L’idée est de répondre à plusieurs questions... Les ménages dévient-ils de leur consommation théorique et adaptent-ils leur consommation en fonction du confort énergétique de leur logement? Les économies d’énergie liées à la performance se traduisent-elles dans leur dépense? «Si l’on observe bien une relation croissante entre dépense, consommation énergétique et classe de performance, elle est beaucoup moins forte que celle prédite par le DPE et s’estompe pour les plus grands logements», constatent les auteurs de l’étude. La différence de consommation d’énergie au mètre carré entre un logement classé AB et un logement classé G apparaît ainsi six fois plus faible que celle prédite par le DPE!

Mieux connaître les comportements
Si les usagers «adaptent leur comportement en fonction du prix du confort énergétique et donc de la performance du logement», ils le font également en fonction de facteurs sociodémographiques, au premier rang desquels leurs revenus. Ainsi, observent les auteurs de l’étude, «la consommation des ménages dépend autant des revenus que de l’étiquette DPE». En matière de distorsion entre l’étiquette DPE et la réalité, l’étude établit que «le DPE tend à surestimer la performance théorique à partir de la classe D, et cela va en s’accentuant à mesure que la performance énergétique du logement se dégrade (la surestimation dépassant un facteur 2 pour les logements G). La performance théorique des logements AB étant, elle, sous-estimée». Autre confirmation des biais induits par le calcul du DPE, «plus la superficie du logement est importante, plus la surestimation de la performance s’accroît et plus la progressivité prévue par le DPE disparaît. A contrario, la performance énergétique des petits logements apparaît mieux estimée par le DPE. La consommation au mètre carré étant nettement décroissante avec la superficie, l’application d’une échelle unique à tous les logements devrait mieux prendre en compte cette caractéristique».
Conclusion du CAE: il est nécessaire, à la lumière de ces résultats, «de rechercher des pistes d’amélioration et d’homogénéisation du DPE pour en faire un indicateur plus fiable de la qualité énergétique des logements». Autre enseignement: il est nécessaire d’étudier plus finement les effets comportementaux pour bien évaluer les économies d’énergie associés aux rénovations énergétiques. «En effet, indiquent les auteurs de l’étude, si la rénovation permet d’améliorer la qualité énergétique des bâtiments, avec des bénéfices importants en termes de confort énergétique et de santé, la réduction des émissions de gaz à effet de serre associées dépend étroitement de la façon dont les ménages ajustent leur consommation à la suite des rénovations. Mieux connaître les comportements de consommation des ménages permettra de les accompagner dans leurs efforts de sobriété énergétique, afin que la rénovation énergétique conduise également à une baisse significative des émissions.»