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Transport
Se déplacer sans voiture dans les territoires peu denses

Personne ne prétend «chasser» les voitures des campagnes. Mais, contrairement à ce qu’on croit souvent, ce n’est pas le seul moyen de déplacement. Les alternatives, collectives ou individuelles, sont encouragées par l’Etat et les collectivités.
Olivier Razemon | Le samedi 2 mars 2024
Si les pouvoirs publics souhaitent favoriser le vélo, encore faut-il permettre aux cyclistes de se déplacer en toute sécurité. © Petair / Adobe Stock

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La voiture pour aller au travail? Pas tous les jours. Du printemps à la fin de l’été, lorsque la météo et la durée du jour lui conviennent, Christian Rouaix, géomètre-expert à Toulouse, préfère de loin enfourcher son vélo, celui qu’il utilise pour ses randonnées. Il pédale ainsi 12km entre sa maison, dans une commune de 2.000 habitants, et son cabinet. «C’est un plaisir, et aussi une assurance d’arriver à l’heure. Au retour, il y a deux kilomètres un peu pénibles, le long d’une route assez fréquentée. C’est la seule difficulté», témoigne-t-il. Bien sûr, quand le praticien transporte «un scanner de 12kg», ou qu’il rend visite à des clients éloignés des centres-villes, il s’engouffre dans sa voiture. Son expérience, en territoire périurbain, montre que l’automobile n’est pas le seul horizon en matière de déplacements, même pour un professionnel très occupé.

Un volet de la loi d’orientation des mobilités
Et pourtant, les clichés ont la vie dure. Alors que les transports motorisés individuels représentent un tiers des émissions de gaz à effet de serre en France et que la sédentarité est devenue un enjeu de santé publique, les alternatives à la voiture individuelle se heurtent toujours aux mêmes préjugés. Se passer de voiture, ce serait acceptable dans les centres des métropoles, tandis que partout ailleurs, n’y songez même pas. Or, il importe non pas de raisonner en territoires ni même en individus, mais en trajets. Même si l’on vit à 40km de son lieu de travail sans lien direct en transport public, tous les déplacements n’impliquent pas de parcourir cette distance. A pied, on peut aller chercher le pain, à vélo traverser la localité, en train rejoindre une ville voisine.

La mobilité «dans les territoires peu denses» a fait l’objet d’un volet de la loi d’orientation des mobilités (Lom) de décembre 2019, un texte qui se voulait fondateur. En application de la loi, la totalité du territoire français est couvert depuis 2021 par des autorités organisatrices de mobilité, le nom des collectivités locales lorsqu’elles se chargent des transports. Concrètement, cela fait des années que les services de l’Etat, les collectivités locales, les agences d’urbanisme ou des sociétés de conseil ont pris en compte «les territoires peu denses». Cette expression politiquement correcte, qui a remplacé les termes «province», «régions», «France périphérique» voire «au fin fond de», est assez révélatrice. Car ces fameux territoires sont loin d’être homogènes, comme le savent pertinemment ceux qui les parcourent régulièrement. Petites villes dotées d’une gare, bourgades desservies par une ligne d’autocars, villages-dortoirs qui se vident le matin et se remplissent le soir, hameaux isolés de fond de vallée... La géographie est plus complexe que les catégories assignées. Enfin, on l’oublie souvent, environ 20% des foyers ne possèdent pas de voiture, une proportion plus faible dans le périurbain, mais assez élevée dans les communes rurales isolées.
Le Cerema, établissement de l’Etat chargé du «climat et des territoires de demain», a publié, pour accompagner la Lom, une «boîte à outils» dont les collectivités territoriales sont invitées à s’emparer. Deux au moins de ces outils peuvent être assimilés aux transports en commun: les cars scolaires et le transport à la demande, défini comme «un service hybride entre la ligne de bus régulière et un service de taxis». A cela s’ajoutent les lignes régulières de trains ou de cars, qui desservent finement les départements ruraux mais sont peu empruntées, faute de fréquence suffisante. Si des rapports officiels plaident, toujours au nom de la rentabilité, pour la fermeture des «petites lignes», les usagers ne se laissent pas faire. A Saint-Flour (Cantal), Argenton-sur-Creuse (Indre) ou Die (Drôme), les habitants et les élus se battent pour le train: le maintien de la ligne, mais aussi davantage de passages.

La route aurait-elle définitivement tué le fer?
Toutefois, malgré les 29.000km de chemins de fer encore en activité, la plupart des collectivités semblent surtout miser sur les alternatives aux transports publics. Comme si la route, sous toutes ses formes, avait définitivement tué le fer, sauf pour les TGV. Le développement du covoiturage de moyenne distance, entre 50 et 100km, s’est ainsi nourri depuis le début des années 2.000 des aires aménagées près des sorties d’autoroutes ou le long des axes structurants. Les aires de covoiturage se sont rapidement remplies, et les autorités locales ont dû les agrandir plusieurs fois avant, désormais, de les équiper d’ombrières recouvertes de panneaux photovoltaïques, de bornes de recharge électrique ou d’arceaux de stationnement pour vélos. Car le vélo est un autre pari des collectivités en territoire peu dense. Dans une étude intitulée «La France à 20 minutes de vélo» de janvier 2022, le cabinet de conseil BL Evolution a révélé le potentiel de ce moyen de transport. Calculant les distances à parcourir et non la présence effective d’un itinéraire, l’étude montre que 57% de la population française vit à moins de 20min de vélo d’un lycée et 81% d’un collège. Les consultants livrent ce chiffre édifiant: pour 88% des foyers, l’école est située à 8min de vélo, ou moins. Enfin, les trois-quarts de la population française vit à proximité d’un supermarché (10min), d’une épicerie (10min) ou d’une boulangerie (5min), et les résultats sont à l’avenant pour les gares. Ainsi, «même si le vélo ne peut répondre à tous les déplacements en zone rurale, il présente quand même des atouts insoupçonnés», synthétise le cabinet de conseil.
Encore faut-il pouvoir pédaler en sécurité. «Sur un échantillon de 200 automobilistes qui m’ont dépassé sur la grand route, seuls 10% d’entre eux ont mis leur clignotant», témoigne Christian Rouaix, qui rêve d’une piste cyclable longeant cet axe proche de Toulouse. Un espoir peut-être pas infondé. Les collectivités rurales aménagent de plus en plus d’itinéraires destinés au cyclotourisme. Mais ces axes, à condition d’être directs, servent également à relier deux villages, ou un quartier pavillonnaire au centre d’une petite ville. 

Un webinaire record sur le vélo hors agglomération
Cette tendance se poursuit. En décembre 2023, plus de 2.200 personnes s’étaient inscrites à un webinaire du Cerema consacré aux aménagements cyclables hors agglomération, «un record pour ce type d’événement», assure Thomas Jouannot, directeur de projets «modes actifs» au Cerema. Les participants, élus, techniciens, consultants, ont pu découvrir trois méthodes permettant de transformer la voirie courante en itinéraires cyclables. En Ille-et-Vilaine, le département construit des pistes larges, parfois dotées d’ouvrages d’art, qui servent de lien entre les communes. En Savoie, l’agglomération Grand Lac mobilise une partie de l’emprise de la chaussée pour en faire des voies réservées aux vélos. La Manche, enfin, a annoncé en octobre 2023 la requalification de quelques kilomètres du dense réseau départemental en voies vertes, dédiées aux vélos, piétons, riverains et engins agricoles. 
Les voies vertes pourraient convenir à des véhicules d’un nouveau type, trop lourds pour être considérés comme étant des vélos, et trop légers pour répondre à l’idée qu’on se fait d’une voiture. Ces «véhicules intermédiaires», comme on les appelle faute de définition plus précise, présentent l’avantage de moins encombrer les routes, de consommer moins de ressources à la fabrication et d’énergie pour le roulage. L’Etat, par l’intermédiaire de l’Agende de la transition écologique (Ademe), encourage la recherche sur ces drôles d’engins. Un couple d’Aveyronnais, Hélène et Michel Jacquemain, utilise son «véloto», carcasse en plastique équipée de quatre roues et d’un pédalier, pour faire leurs courses à Millau, à 20km de chez eux. On a vérifié: l’engin pourrait aisément transporter un scanner de 12kg.



Technologie ou vie réelle?

Pour encourager les mobilités alternatives, y compris dans les territoires peu denses, la Lom mise sur «la mobilité comme un service», lien numérique entre l’usager et les offres existantes, horaires de train, location de voiture, flotte de vélos voire de trottinettes électriques. Mais, en pratique, quand on veut se déplacer sans voiture, on n’a pas tant besoin d’application miraculeuse que de bon sens. L’usager ne compte plus les arrêts de bus boueux, les panneaux d’horaires tagués ou arrachés, les gares en service mais littéralement abandonnées par la SNCF, les trottoirs étroits ou servant d’aires de stationnement... Assurer à chacun une mobilité multimodale nécessite d’abord de tester les modes de transports et de régler tous ces petits détails qui découragent l’usager le mieux disposé.