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L’arbre
Forêts urbaines: quand la ville respire

Longtemps contraint, relégué à quelques alignements et à des jardins publics taillés et traités à outrance, l’arbre fait aujourd’hui un retour remarqué en milieu urbain. Mais, si l’on veut profiter des bienfaits du végétal en ville, encore faut-il lui donner les moyens de se développer, et passer de la mode du tout vert à sa concrétisation...
Samuel Ribot | Le lundi 6 mai 2024
Forêt urbaine en cours de création place de Catalogne, dans le XIVe arrondissement parisien. Suivront deux autres réalisations similaires sur le parvis de l’hôtel de ville (IVe) et la place du Colonel-Fabien (Xe). © S. Ribot

ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE

Avec 200.000 arbres plantés dans les rues et les espaces verts, 300.000 recensés dans les bois de Vincennes et Boulogne, la ville de Paris et ses 105km2 de superficie devraient ressembler à un paradis végétal. D’autant que la mairie s’est engagée à planter 170.000 spécimens de plus d’ici à 2026. Pourtant, ce n’est pas forcément l’impression qui saisit le visiteur, ni même celle qui s’impose aux Parisiens. Pourquoi ce décalage? Sans doute parce que, pendant longtemps, on a demandé à l’arbre de s’adapter à la ville. Or, le milieu urbain ne fait pas le bonheur de nos amis feuillus... «On nous explique souvent que les arbres de ville sont malades, vieux, et qu’il faut les abattre. Les arbres en ville sont rarement en très bonne santé! La ville de Paris, par exemple, renouvelle ses arbres au bout de vingt-cinq ans de plantation», observe Florence Robert, paysagiste concepteur à Bagneux (Hauts-de-Seine), spécialiste des projets en milieu urbain. En milieu naturel, les mêmes arbres pourraient, selon leur espèce, vivre plusieurs dizaines voire plusieurs centaines d’années. 


Parallèlement, la ville s’est réchauffée, asséchée et minéralisée au fil du temps. Alors comment enrayer cette dynamique «perdant-perdant», qui fait que les arbres souffrent et que les habitants sont en manque de nature? En laissant l’arbre (re)prendre sa place, lui permettant ainsi de faire profiter les humains de ses bienfaits. Le discours a d’ailleurs beaucoup changé, les intentions aussi: outre les ambitions parisiennes, des villes comme Lyon, avec un plan de végétalisation de 100.000 arbres et des actions de reboisement, ou encore Nantes, avec son programme «ville arborée», ont pris le sujet à bras-le-corps. Mais le réel reprend vite ses droits: «En matière de communication, l’intérêt pour l’arbre est massif, confirme Florence Robert. Dans la réalité des projets, c’est un peu différent. D’abord parce qu’il y a un principe de réalité: aujourd’hui, si vous enlevez un alignement d’arbres, par exemple, la multiplicité et la complexité des réseaux souterrains vous empêchent la plupart du temps de replanter. Les sous-sols de nos villes sont de plus en plus contraints, ce qui représente mécaniquement autant d’obstacles à la plantation d’arbres.» 

Le sol urbain manque d’espace et d’aération
C’est pourquoi de plus en plus de paysagistes sont attentifs à préserver les arbres existants lorsque cela est possible. Car il n’y a pas que les réseaux souterrains: la nature même du sol représente une contrainte de taille. Peu ou pas de profondeur, très peu de nutriments, une eau qui n’a pas le temps de s’infiltrer... «Le sol des villes, c’est un mélange d’un peu tout, mais dont la caractéristique récurrente est qu’il est très perturbé, observe la paysagiste concepteur. Le sol urbain manque d’espace, d’aération, de matière organique et de vers de terre!» Afin d’anticiper au mieux les difficultés rencontrées au moment de réintroduire des arbres en milieu urbain, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) préconise de suivre sept recommandations. D’abord, varier les espèces et éviter les monocultures, trop sensibles au réchauffement comme aux éventuelles maladies. Ensuite, «penser» local et biodiversité, les arbres indigènes étant a priori mieux adaptés aux conditions climatiques et aux sols. Attention toutefois: «On impose par exemple en Ile-de-France d’utiliser des essences indigènes. Mais ce sont des essences qui étaient adaptées au climat d’il y a cinquante ans et pas forcément à celui des trente prochaines années, plus chaud et plus sec. Il faut donc être capable d’anticiper et ne pas s’enfermer dans des contraintes techniques inadaptées», observe Florence Robert. Autre préconisation du Cerema: planter plus jeune, afin que l’arbre puisse créer son propre réseau racinaire. Il est également important d’anticiper la taille de l’arbre. Au bout de quelques années, le voisinage pourrait ainsi se retourner contre un arbre devenu envahissant ou dangereux. Autre point essentiel: le choix du lieu de plantation. Un arbre a besoin de place et d’eau pour se développer, accueillir insectes et oiseaux et participer à la régulation des eaux de pluie. Les deux dernières recommandations du Cerema concernent le choix des essences, qui ne doivent être ni trop allergisantes ni trop gourmandes en eau, et l’importance de conserver les vieux arbres lorsque ceux-ci sont encore vaillants. 
Elément d’un biotope, l’arbre ne doit toutefois pas être envisagé d’un point de vue unique. «L’arbre seul est triste, malheureux, stressé, constate la paysagiste concepteur. Il a besoin d’un environnement végétal avec lequel interagir, d’un sol qui lui permet de trouver des nutriments, d’absorber l’eau... Pour moi, aujourd’hui, un arbre en ville doit être abordé comme un îlot, au sein duquel il partagerait l’espace avec d’autres espèces.» L’idée: implanter de tels îlots en ville chaque fois que cela est possible, afin de permettre à l’arbre de mieux se développer, de mieux vivre, bref de mieux s’épanouir. La contrainte urbaine peut même y aider: «On a une chance formidable en ville: la diversité des constructions, des orientations, des altitudes, permet d’envisager de multiples combinaisons. Demain, par exemple, un jardin orienté au nord aura sans doute plus de chances de s’épanouir qu’un jardin orienté au sud, qui souffrira plus facilement de sécheresse. A nous d’adapter nos pratiques.» 

L’arbre et ses mille vertus
L’avenir de nos villes sera donc végétal, ou ne sera pas. D’autant que les bienfaits d’un retour des arbres sont aujourd’hui unanimement salués. En absorbant le dioxyde de carbone et les autres polluants atmosphériques, ils contribuent à l’amélioration de la qualité de l’air. Les effets conjugués de l’ombre et de l’évapotranspiration permettent de lutter contre les îlots de chaleur. Refuges et source de nourriture pour la faune, les arbres participent à la préservation de la biodiversité. Certaines études démontrent même une capacité à lutter contre la pollution sonore et à freiner les couloirs venteux créés par les immeubles. Enfin, un environnement végétalisé contribue au bien-être mental et physique des citadins. En réinstallant l’arbre au cœur de nos villes, nous pourrions donc contribuer à rapprocher les habitants de leur environnement. C’est en tout cas la conviction de Florence Robert: «Je trouve que la présence de l’arbre permet de rappeler aux citadins le passage du temps. On est aujourd’hui de plus en plus déconnectés du vivant, et on ne peut pas respecter quelque chose dont on est déconnecté. Quand vous avez un arbre sur le trajet vers votre travail et que vous le voyez fleurir, quand vous sentez les odeurs du printemps, quand vous contemplez les couleurs de l’automne, cela vous reconnecte à la nature, même dans un espace par ailleurs totalement anthropisé.» 



Des plans adaptés aux arbres 

Pour Florence Robert, les plans fournis par les géomètres-experts peuvent apporter deux ou trois informations complémentaires: «Ce qui serait particulièrement intéressant pour nous, ce serait de disposer d’une altimétrie plus précise au niveau du pied des arbres, car c’est ce qui nous intéresse au premier chef. Il est important pour nous de préserver une surface autour de l’arbre qui soit stable en matière de nivellement. Il serait aussi extrêmement intéressant de disposer de la circonférence du tronc. La plupart du temps, sur les plans dont nous disposons, l’arbre est représenté de la même manière, quelle que soit sa forme et sa circonférence. Je comprends bien que c’est du travail en plus, mais ce serait réellement une aide précieuse pour nous, et peut-être un élément d’information qui pourrait intéresser les collectivités.»