Exercice de la profession
«La voix de l’Ordre a été entendue»
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
L’ordonnance réformant les sociétés des professions libérales réglementées a fait l’objet d’un travail intense entre l’OGE et la Direction générale des entreprises. Comment cela s’est-il passé concrètement?
Luc Lanoy: Ces travaux ont été engagés depuis 2020 et se sont traduits par un travail d’instruction et de concertation mené avec les représentants des six secteurs des professions libérales réglementées (PLR), dont bien entendu les professions constituées en ordres. La Direction générale des entreprises (DGE, rattachée au ministère de l’Economie et des Finances) nous a transmis un programme de travail, qui a été conduit d’octobre 2021 à mars 2022. Dans le cadre de ces travaux, il y a eu un certain nombre de consultations écrites menées sur des sujets communs à l’ensemble des professions, comme le préambule de l’ordonnance, qui contenait des définitions communes à chaque profession. Nous pouvions réagir à ces documents par le biais d’une navette qui s’est instaurée entre les professions concernées et la DGE. Nous avons également travaillé en ateliers, sur un mode «brainstorming», avec la volonté affirmée de travailler sur l’intelligence collective. Les échanges ont été très ouverts et se sont poursuivis sur une durée totale de deux ans, avec bien sûr aussi des échanges bilatéraux entre l’OGE et les services de Bercy.
Quelle était la ressource mobilisée au niveau de l’Ordre?
L.L.: Outre la direction des affaires juridiques, nous avons pu nous appuyer sur le travail fourni par la commission exercice professionnel, qui a été consultée dès que cela était nécessaire et qui a pu nous apporter des informations, faire remonter des propositions qui étaient ensuite examinées en réunion de travail avec la DGE.
Quels étaient les axes forts de la position adoptée par l’OGE?
L.L.: Il y avait globalement un enjeu de simplification, de modernisation et de clarification. Mais le point sur lequel nous avons toujours été très clairs, c’est celui de la règle fondamentale qui veut que, dans les structures d’exercice, la majorité du capital et des droits de vote est détenue par les professionnels exerçant légalement la profession de géomètre-expert. Tout cela dans le respect impérieux du souci de l’indépendance du professionnel, quelle que soit par ailleurs la forme de la structure.
Certaines évolutions étaient réclamées de longue date par les géomètres-experts. Ont-elles pu être prises en compte?
L.L.: Ce texte est en fait l’aboutissement du vote de l’une des motions adoptées lors du congrès de 2018, qui s’était tenu à Bordeaux. Cette motion exprimait la volonté d’instaurer la possibilité d’avoir recours aux sociétés pluriprofessionnelles d’exercice (SPE), qui permettent la mise en commun des services offerts par plusieurs professions réglementées au sein d’une même structure. Ce projet relativement ancien trouve sa concrétisation formelle à l’occasion de l’adoption de cette ordonnance. Pour mesurer l’avancée que cela représente, il faut prendre en compte le fait que, chaque fois que nous avons identifié un véhicule législatif susceptible de porter cette mesure, nous l’avons proposée, sans succès jusqu’alors. Cela avait notamment été le cas lors du vote de la loi Pacte (loi pour la croissance et la transformation des entreprises) en 2019. On peut donc se réjouir que la voix de l’Ordre, et donc cette demande expresse de la profession, ait enfin été entendue.
© M. Meniane
«L’objectif de l’Ordre était de favoriser une logique de simplification du parcours client et de l’exercice professionnel des entrepreneurs libéraux.»
En quoi les sociétés pluriprofessionnelles d’exercice constituent-elles une opportunité pour les géomètres-experts?
L.L.: L’objectif de l’Ordre était de favoriser «une logique de simplification du parcours client et de l’exercice professionnel des entrepreneurs libéraux». Pour le client, il s’agissait de pouvoir bénéficier d’une chaîne de prestation complète en ayant accès à plusieurs professions libérales réglementées au sein d’une même structure, ce qui représentait à la fois un gain de temps et une rationalisation de son projet, le tout piloté par un chef d’orchestre aux compétences reconnues. Pour les professionnels, cela permet aussi d’avoir la garantie de la présence au capital et à la prise de décision des représentants de chaque profession intégrée à la SPE. C’est la différence entre la pluridisciplinarité, qui est déjà pratiquée dans les faits, et l’interprofessionnalité, qui associe réellement les différentes professions au sein d’une même structure.
Cela peut aussi permettre d’envisager des gains substantiels en termes de coût?
L.L.: En effet, grâce à la SPE, il sera désormais possible de partager des coûts concernant le secrétariat, l’accueil, les locaux, la comptabilité, donc de réaliser des économies d’échelle avec, également, la possibilité pour le consommateur de s’y retrouver. C’était déjà possible via une holding mais, cette fois, un véritable bouquet de services proposés par des professionnels réglementés pourra être proposé par une même personne morale. Ce qui est une réelle nouveauté, avec une seule facture à régler pour le client. Je précise à toutes fins utiles que chaque professionnel restera toutefois responsable devant son ordre, et soumis à la déontologie qui lui est propre. Ceci s’appliquera bien entendu également aux cotisations ordinales.
Comment les géomètres-experts, notamment ceux installés dans des structures de taille modeste ne disposant pas de juriste, peuvent-ils faire pour accéder à une information utile et complète sur ce sujet?
L.L.: Ils peuvent évidemment s’adresser à l’Ordre, qui est là pour leur fournir de la documentation à travers ses outils de communication. Une offre de formation devrait également prochainement être proposée pour les structures qui ne bénéficieraient pas d’un service juridique ou des conseils d’un expert-comptable. La DGE a de son côté publié des guides par famille de profession («L’ordonnance PLR de 2023, clés en main pour les professions techniques et du cadre de vie»). Ce guide est conçu pour les professionnels. Il vise à partager avec eux un état des lieux pratique des changements induits par l’ordonnance n°2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées. L’objectif est qu’il soit accessible à tous et qu’il leur permette de se saisir des opportunités offertes par ce texte. C’est une excellente ressource pour les cabinets ne disposant pas d’un conseil juridique propre.
La réforme n’est pas forcément bien comprise: sur quels points les géomètres-experts doivent-ils être particulièrement vigilants?
L.L.: D’abord, je voudrais battre en brèche une idée fausse: les géomètres-experts ne seront absolument pas contraints de modifier leur structure juridique. Contrairement à ce qui va s’imposer à d’autres professions comme celle d’avocat [lire notre entretien avec Bastien Brignon, page 42, Ndlr], lorsqu’on est géomètre-expert, on peut tout à fait continuer à exercer sous la forme sociale qui existait avant l’ordonnance. Les sociétés dites «historiques» de droit commun telles que les SARL, SA et SAS demeurent. Il n’y a aucune transformation obligatoire. Ce texte met à disposition de nouveaux outils: ceux qui veulent s’en emparer sauront trouver la ressource pour mettre en place une transformation sociale ou créer une holding, mais les autres peuvent conserver leur structure actuelle.
Les fonctions disciplinaires exercées par l’OGE restent-elles inchangées?
L.L.: Elles ne changent pas. Cela ne signifie pas qu’elles ne doivent pas évoluer, et l’Ordre y réfléchit, mais ce texte ne s’y prêtait pas. Les fonctions disciplinaires restent donc inchangées: le regard porté sur la surveillance de la profession et le contrôle exercé, par exemple, sur les futures SPE s’exercera de la même façon.
Quelles sont les prochaines dates importantes?
L.L.: L’Ordonnance entre prochainement en vigueur. Pour qu’elle soit parfaitement applicable, un certain nombre de décrets doivent être pris. Il y a d’une part des décrets monoprofessionnels, c’est-à-dire propres à chaque profession, et d’autre part des décrets transverses, qui peuvent concerner plusieurs professions. S’agissant de la publication des décrets d’application, il est difficile de prédire une date, mais le processus est enclenché.
À LIRE AUSSI
• Une réforme qui relance l’activité en société
• «Un droit plus clair et plus intelligible»
Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré à l’exercice de la profession dans le magazine Géomètre n°2227, septembre 2024, en consultant notre page « Le magazine ».