Spécial JO / Paris
Jeux dans la ville, la métamorphose olympique
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
Comme un festival d’Avignon, mais géant. Ou une braderie de Lille qui durerait quatre semaines. Ou encore une fête des Lumières lyonnaise en plein été. Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris, qui doivent attirer 15 millions de touristes du 26 juillet au 11 août, puis de nouveau du 28 août au 8 septembre, vont affecter massivement l’espace public, dans la capitale comme dans plusieurs villes de sa banlieue. Cette métamorphose inédite trouve sa source dans la candidature même de Paris 2024, qui reposait sur une promesse, celle de «Jeux dans la ville», tirant parti des infrastructures existantes. Pas moins de 25 sites de compétition seront répartis dans le Paris historique et certains lieux emblématiques de la région, comme le Stade de France ou le château de Versailles. Chacun de ces «stades éphémères» sera entouré de plusieurs périmètres de sécurité successifs, dont les contrôles seront de plus en plus stricts à mesure qu’on s’approchera du lieu précis des épreuves. Il en sera de même autour des «villages» des athlètes et des médias en Seine-Saint-Denis, à proximité des sites dédiés à l’entraînement, des 26 fan-zones gratuites que comptera la capitale, ou des écrans géants installés dans certaines communes de banlieue. Les perturbations ont commencé dès le mois de mars, avec la fermeture progressive de plusieurs sites, et se poursuivront jusqu’à la fin septembre.
Un exemple permet de comprendre l’ampleur de l’événement. Dans les VIIe, VIIIe et XVIe arrondissements, entre le Trocadéro et le jardin des Tuileries, une vaste zone sera fermée à la circulation motorisée de transit. Tout au long de la compétition, les camionnettes, voitures et scooters pourront s’y rendre, mais pas la traverser. Cette surface correspond aux périmètres de sécurité, adjoints les uns aux autres, de pas moins de sept sites olympiques: Trocadéro, tour Eiffel, champ de Mars, Invalides, pont Alexandre III, Grand Palais et Concorde. L’équivalent, en superficie, du centre historique de Toulouse, Bordeaux ou Strasbourg.
Une autre promesse de la candidature va perturber la vie quotidienne pendant les épreuves olympiques et paralympiques: celle de rallier en moins de 30min, et en voiture, le «village des athlètes» à n’importe quel site d’épreuves. Pour cela, des «voies olympiques», 185km au total, ont été tracées le long de plusieurs autoroutes et du périphérique, neutralisant une voie de circulation. Seuls les 200.000 personnes accréditées, athlètes, entraîneurs, fournisseurs, auront le droit de les emprunter.
Des visiteurs venus pour la fête
Si Paris n’aura pas son visage habituel, c’est aussi en raison de ses invités exceptionnels. Alors qu’une partie, indéterminée mais non négligeable, des habitants auront déserté la capitale, les nombreux visiteurs se préparent à investir les rues, mais aussi les logements, à titre gratuit ou non. L’office du tourisme de Paris a établi, à partir des éditions de Londres (2012) et Rio (2016), une typologie des touristes olympiques. Contrairement à une image répandue, près de neuf visiteurs sur dix viendront de France, et la moitié d’entre eux de région parisienne.
Le portrait-robot du visiteur permet de comprendre la nature de la métamorphose qui affectera la capitale. 60% des clients seront des hommes, âgés en moyenne de 35 à 40 ans, disposant d’un fort pouvoir d’achat et pratiquant un sport chaque semaine. En outre, près de 80% des visiteurs sont qualifiés d’«excursionnistes», car ils ne disposeront pas de billet pour une épreuve. A Londres, en 2012, les visiteurs avaient surtout passé leurs journées au restaurant, dans les bars et les magasins, mais pas du tout dans les musées... Dès lors, la permission exceptionnelle donnée aux établissements, par la ville de Paris, de servir à l’extérieur jusqu’à minuit, au lieu de 22 heures habituellement, prend tout son sens. «Il n’y a pas de fête sans bruit», reconnaît la municipalité.
Cette foule ne pratiquera pas la ville comme le font les habitués, qui y vivent ou y travaillent. Elle n’aura ni les mêmes aspirations, ni les mêmes horaires, ni la même mobilité.
Les transporteurs espèrent certes que l’afflux lié aux Jeux sera compensé par le départ des usagers habituels. «Il faudra transporter 9,5 millions de personnes par jour, contre 11,5 en temps normal. C’est un sujet de ressources humaines», explique le PDG de la RATP, Jean Castex. Mais, dans certains lieux et à certaines heures, le métro débordera littéralement. Ile-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité en charge des transports dans la région, anticipe des délais allant jusqu’à une vingtaine de minutes pour pénétrer dans certaines stations.
Pour limiter l’encombrement piéton, «il faut occuper l’espace public. Les buvettes sont un moyen de scander la foule, de la canaliser», indique Jean Castex. C’est ainsi que les larges périmètres interdits à la circulation de transit, quartiers plus ou moins tranquilles en temps normal, vont se transformer en sites récréatifs géants, et piétonnisés.
Une place importante est accordée à la circulation à vélo pendant les Jeux, avec notamment la création des «olympistes». © O. Razemon
Les «olympistes» au service du vélo
L’orientation des visiteurs nécessite la coordination de centaines de salariés ou de bénévoles, informés en temps réel de l’état du réseau. «La maîtrise des flux en surface dépend de l’articulation entre nos agents et ceux de la préfecture de police, de la ville de Paris, ou de Paris 2024», observe le PDG de la RATP. Non sans mal, le transporteur, ainsi que la SNCF, IDFM et Aéroports de Paris sont parvenus à se mettre d’accord sur un uniforme commun, qui rendra les agents immédiatement identifiables.
Ces conditions seront extrêmement propices à la marche et au vélo. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop, dit aussi Paris 2024) a accepté l’idée, vantée par le mouvement représentant les usagers du vélo, de créer des pistes cyclables ad hoc. Judicieusement baptisés «olympistes», ces axes tracés le long des avenues et boulevards de la capitale et de sa proche banlieue occuperont une partie des voies jusqu’ici motorisées. Ils ont vocation à être pérennisés après l’événement. Les images de milliers de personnes pédalant en direction des sites olympiques pourraient donner, dans le reste de la France, des idées à des dirigeants de festivals habitués aux navettes et aux immenses parkings.
L’approvisionnement quotidien risque également d’être perturbé. Les professionnels de la logistique redoutent les blocages résultant des «voies olympiques», des périmètres de sécurité, des épreuves se déroulant sur la voie publique sans oublier l’impact de la cérémonie d’ouverture le long de la Seine. Le secteur de la cyclologistique, jusqu’alors marginal, y voit une opportunité. «Les demandes explosent, depuis que les donneurs d’ordre ont compris que les vélos, même chargés de marchandises, pourront pénétrer dans les périmètres», explique Amauric Guinard, qui déploie, au sein de la Fédération des usagers de la bicyclette, un programme visant à intégrer les vélos-cargos dans la livraison.
Le secteur de la logistique pourra en outre s’appuyer sur le référencement des secteurs de livraison à la rue près, établi par le groupe de travail créé par l’Etat et les collectivités locales et consacré à la «logistique urbaine du quotidien pendant les Jeux olympiques et paralympiques». Pour le spécialiste de la logistique Jean-André Lasserre, «les périmètres de sécurité préfigurent les zones à trafic limité».
A l’instar des villes italiennes, de nombreuses municipalités françaises envisagent de créer des quartiers apaisés, fermés à la circulation de transit, à l’exception des résidents, commerçants et livreurs. Et si la ville olympique annonçait la ville de demain?
Toute la France mobilisée
Cela ne vous parle peut-être pas, mais les «Cochons de Crépy» (Oise), un événement qui se déroule traditionnellement au mois d’août, n’aura pas lieu cet été. «Pour des raisons de sécurité», indique le site de l’association organisatrice, qui précise «Rendez-vous en 2025». Plus précisément, cette fête médiévale n’a pas réussi à recruter suffisamment d’agents de sécurité, en raison des Jeux olympiques. Le grand événement parisien va mobiliser des milliers de policiers, agents, conducteurs de bus, personnel de restauration. Comme l’arrivée du Tour de France a été déplacée à Nice, ou le festival d’Avignon avancé d’une semaine, des centaines d’événements seront décalés dans l’espace ou dans le temps, ou tout bonnement annulés. Chez Keolis, les réseaux de bus «de province» ont été priés de fournir plus de mille conducteurs à la branche francilienne. Des salles de sport ont été réquisitionnées pour la préparation des athlètes. Les Jeux de Paris sont aussi ceux de «la province».