Patrimoine numérisé
La citadelle Vauban de Besançon renaît en 3D
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
Fleuron de l’architecture militaire de Vauban, la citadelle de Besançon est inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2008. Sur ce site de près de douze hectares, qui abrite le Museum avec son jardin zoologique et deux autres musées, un ambitieux projet de numérisation du patrimoine a été initié par la société Capture4Cad, spécialisée dans la numérisation 3D des bâtiments. Grâce à la mise en œuvre d’un protocole innovant d’acquisitions statiques et dynamiques, la place forte, avec ses kilomètres de murailles, ses tours bastionnées, ses guérites, ses souterrains, etc., disposera bientôt d’une modélisation 3D complète et détaillée, ouvrant la voie à de nouvelles expériences de visite virtuelle. D’ici la fin de l’année, d’autres monuments de la ville bénéficieront eux aussi de leur double numérique.
L’idée a germé lorsque Hugo Parent, qui a intégré la société Capture4Cad il y a trois ans pour développer l’activité Monuments historiques et médiation, a pris connaissance de l’appel à projets «Numérisation du patrimoine et de l’architecture» lancé par le ministère de la Culture. «J’ai voulu saisir cette opportunité pour monter en compétence dans la proposition de valorisation du patrimoine à travers des expériences de réalité virtuelle et augmentée», explique le géomètre-topographe, également archéologue de formation. Besançon (Doubs) offrait un magnifique terrain de jeu à son entreprise, établie dans le village de Saône tout proche. Il a donc proposé à la ville de monter un projet commun.
Un puits de 118 mètres de profondeur
Le projet «Lense, Vesontio révélée» a fait partie de la première vague de lauréats de l’appel à projets, annoncée en décembre 2022. Mêlant numérisation, visualisation et réalité mixte à des fins d’étude, de conservation et de médiation du patrimoine, il se veut pluridisciplinaire et doit permettre d’expérimenter à grande échelle des technologies innovantes. Mené depuis janvier 2023 en partenariat avec la citadelle de Besançon et la direction du patrimoine historique de la ville, il est financé par le ministère de la Culture, France 2030 et la Banque des territoires à hauteur de 446.000 euros dans le cadre du quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA). «La subvention couvre 75% du financement du projet sur 24 mois, les 25% restants étant apportés par Capture4Cad», précise Hugo Parent. La citadelle, sa ceinture défensive, mais aussi la cathédrale, le musée du Temps et une partie des façades des monuments historiques de la ville sont concernés.
La numérisation du puits a été confiée à Rémi Flament, photographe spécialiste de l’imagerie souterraine, et à son équipier cordiste Etienne Chabrier. © R. Flament
La priorité était de disposer d’un jumeau numérique de la citadelle. L’acquisition des données représentait un véritable défi, le site étant vaste et complexe. «Nous avons été parmi les premiers utilisateurs de la nouvelle gamme BLK de capture de la réalité autonome de Leica Geosystems», indique Hugo Parent. Pour les numérisations au sol, le chien-robot Rocket de Boston Dynamics a été équipé du module Leica BLK Arc, permettant d’acquérir jusqu’à 500.000 points par seconde. Dès le premier trimestre 2023, on a pu le voir arpenter le site en tous sens, reculer pour contourner les obstacles ou grimper des marches – une première en France! «Nous avons aussi adapté le BLK Arc à une suspente pour descendre au fond du puits, considéré comme l’un des plus profonds de France avec ses 118 mètres», ajoute le professionnel.
Ne pas perturber les espèces animales
La solution portable BLK2Go a été privilégiée dans les souterrains, interdits au robot-chien afin de ne pas perturber les espèces animales hébergées. «Elle s’est aussi avérée très utile dans les parties inaccessibles au robot, par exemple pour numériser les charpentes.» Le scanner laser volant autonome BLK2Fly a quant à lui été utilisé pour numériser les façades, les remparts et les toitures. «Le retour en temps réel de la numérisation permet de valider directement les données sur le terrain», note Hugo Parent. En outre, des acquisitions en intérieur ont été réalisées à l’aide du scanner laser RTC360, tandis que le scanner laser 3D ScanStation P50 était mobilisé au pied des falaises.
«Capture4Cad a dû tenir compte de nos impératifs», souligne Gaëlle Cavalli, responsable du service valorisation du monument Vauban (Citadelle de Besançon). Il lui a ainsi fallu composer avec la fréquentation du site, qui accueille quelque 280.000 visiteurs par an. «Le drone devait voler tôt le matin, avant l’ouverture au public. En revanche, le chien-robot Rocket, très attractif pour le public, a circulé aux heures d’ouverture. L’équipe a pris le temps d’échanger avec les visiteurs. Les plus jeunes étaient captivés!»
Hugo Parent guide le chien-robot Rocket dans les nombreux escaliers de la citadelle. © R. Flament
Premières applications pour l’aménagement du site
«Le vol du drone devait respecter le bien-être des espèces du jardin zoologique, poursuit-elle. Il fallait aussi veiller à ce que les numérisations ne perturbent pas les espèces animales sauvages du site.» L’acquisition des caves, où hibernent des chauves-souris, a même dû être stoppée jusqu’en avril 2024. Néanmoins, la numérisation est déjà achevée à 95%. «Nous avons attendu la nouvelle version du logiciel Leica Cyclone Register 360 pour l’assemblage des nuages de points. Il vient de bénéficier d’une grosse refonte du moteur graphique, qui va nous permettre de traiter plus de 5.000 stations de scan, dont 3.000 positions de scan statique», explique Hugo Parent.
La modélisation 3D va servir à des fins de conservation et d’exploitation des lieux. «Elle sera utilisée dans le cadre des restaurations et pour des projets d’aménagement», précise Gaëlle Cavalli. Les premières applications émergent. Pour un projet d’implantation de jardin, la numérisation a par exemple permis d’évaluer l’épaisseur de terre au-dessus d’un tunnel. Un projet important porte sur la restauration du moulin: la maquette 3D devrait aider à restituer ses parties manquantes et à formuler des hypothèses sur son fonctionnement. Parmi les autres utilisateurs potentiels, les services en charge de la biodiversité, ou encore les pompiers.
Réalités virtuelle et augmentée
Le volet «valorisation du patrimoine» a été inauguré avec une exposition organisée du 21 octobre au 26 novembre dernier, qui a permis au public de découvrir l’état d’avancement du projet. Capture4Cad mise sur des moyens de médiation numérique diversifiés pour permettre un accès au patrimoine bisontin le plus large possible, via des vidéos immersives, des écrans tactiles ou LED et des bornes interactives, mais aussi depuis un ordinateur ou un simple smartphone, la difficulté étant de permettre une consultation fluide de données massives. «Nous avons acquis des casques HTC Vive Pro pour les expériences de réalité virtuelle ainsi que des casques Microsoft Hololens pour la réalité augmentée», indique Hugo Parent. Le nuage de points sert également à imprimer des maquettes physiques de certains éléments.
«Un film va permettre de visiter les parties non accessibles de la citadelle», ajoute Gaëlle Cavalli. Son glorieux passé va ressusciter en réalité virtuelle et augmentée. «On pourra notamment découvrir le premier jour d’un cadet et les anciennes écuries du gouverneur en réalité virtuelle, ou voir fonctionner le moulin. Une ancienne église détruite par Vauban sera aussi révélée en réalité augmentée.» Un canon ainsi qu’une cantine appartenant à Vauban ont par ailleurs été numérisés pour pouvoir être manipulés en 3D. D’autres applications concernent la cathédrale ainsi qu’un plan relief du musée du Temps.
Toutes ces réalisations seront dévoilées en décembre 2024 lors d’une grande exposition finale. Par la suite, elles viendront enrichir l’arsenal de médiation de la citadelle et du musée du Temps.
Une histoire tricentenaire
Construite sur un éperon rocheux à la suite de la conquête de la Franche-Comté par Louis XIV, la citadelle surplombe la vieille ville enchâssée dans une boucle du Doubs. Achevée en 1684, elle était dotée d’un rôle stratégique essentiel, Besançon, promue capitale régionale, étant chargée de protéger la nouvelle frontière gagnée à l’est du royaume de France.
Avec ses fortifications étagées collant au relief et ses bâtiments dédiés à la vie quotidienne des soldats, cet ouvrage architectural majeur est caractéristique de l’œuvre de Vauban, le célèbre architecte militaire du Roi-Soleil. Au fil des siècles, la place forte a fait office de lieu de casernement, de lieu de formation pour les futurs officiers – les «cadets» –, de prison d’Etat et de pénitencier militaire. Elle est désormais un haut lieu de tourisme et de culture...