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Monde
Au Rwanda, les géomètres francophones se penchent sur le foncier et l’aménagement des villes

Les universités de perfectionnement des géomètres francophones, accueillies cette année par le Rwanda, ont réuni plus de 150 géomètres venus de 17 pays. Au programme: gestion du foncier, nouvelles technologies et aménagement inclusif des villes.
À Kigali, Samuel Ribot | Le lundi 2 décembre 2024
Constructions au-dessus de quartiers informels à Kigali (Rwanda). © T. Barrington / Adobe Stock

Bordé à l’est par la Tanzanie, au sud par le Burundi, au nord par l’Ouganda et à l’ouest par la République démocratique du Congo, le Rwanda se situe au cœur du continent africain. Du 27 au 29 novembre dernier, ce pays de 14 millions d’habitants s’est également retrouvé au centre du petit monde des géomètres francophones en accueillant à Kigali, sa capitale, les 9es universités de perfectionnement des géomètres organisées par la Fédération des géomètres francophones (FGF). Bâties autour des thèmes de «la technologie au service d’une gestion foncière équitable» et de «l’aménagement inclusif des villes», ces rencontres ont permis de comparer les vertus des approches et des solutions privilégiées par les différents pays participants en matière d’usage des technologies, de gestion du foncier et d’aménagement urbain.

71% de quartiers informels en Afrique
Comment, par exemple, aborder la question des bidonvilles, pudiquement rebaptisés «quartiers informels» par les géographes et les urbanistes, qui occupent 43% de la superficie des villes dans les pays en développement, et jusqu’à 71% en Afrique? C’est ce qu’a abordé Jean-Pierre Habiyaremye, chef du département des sciences topographiques et géomatiques à l’université franco-arabe de Bamako (Mali), en s’appuyant sur l’exemple d’un modèle prédictif destiné à faciliter les opérations d’aménagement participatives conduites dans certaines zones à urbaniser de Kigali (Rwanda). Restructurer des quartiers informels est une chose. Gérer l’exposition au risque en est une autre. C’est dans ce domaine que l’experte en foncier rural et en gestion des ressources naturelles Aurélia Decherf (IGN FI) est venue présenter le modèle de prévention des inondations à la création duquel elle a participé à la demande des autorités sénégalaises. Cette modélisation du risque à l’échelle de la ville de Dakar permet notamment de cartographier les projections de hauteur d’eau et d’identifier ainsi les zones de vulnérabilité face au risque de crue. Originalité de la démarche: la volonté de diffuser ensuite cette information le plus largement possible, à destination des professionnels mais aussi de la population, jusque sur les smartphones des citoyens sénégalais. 

La technologie au service du foncier
Des smartphones que la Togolaise Riyanatou Medessi, ingénieure géomètre et doctorante en gouvernance foncière et développement durable, utilise elle aussi, cette fois dans le cadre de la mise en place d’un cadastre collaboratif élaboré avec la population. Conduite à l’échelle de sa ville (Agoè-Nyivé 2, au nord-ouest de Lomé) et de ses 128.000 habitants, l’opération vise à enclencher un recensement foncier nécessaire dans une commune où seulement 7% des parcelles sont aujourd’hui identifiées et répertoriées. Sa méthode? D’abord une énorme volonté et un dynamisme à toute épreuve. Ensuite, un travail de fourmi consistant à récupérer textes, photos, plans, images et, surtout, témoignages et déclarations des habitants. Puis, l’usage des outils d’aujourd’hui, comme Tik-Tok et WhatsApp, afin de donner corps à ce cadastre participatif qui constituera la première pierre d’un travail appelé à se professionnaliser, et qu’elle résume par un slogan, «Tu renseignes pour exister!». Quelques centaines de kilomètres plus à l’ouest, la Côte d’Ivoire, elle, a mis en place son système intégré de gestion du foncier urbain (Sigfu). Cette plateforme d’accès à une information géographique de référence sur la zone du Grand Abidjan, bâtie sur des clichés aériens et la récupération d’autres données comme des textes et des plans, est elle aussi ouverte à tous, permettant au particulier de localiser sa propre parcelle comme à une collectivité de concevoir une opération d’aménagement.



Les 9es universités de perfectionnement de la FGF, organisées cette année au Rwanda, ont réuni plus de 150 géomètres venus de 17 pays. © S. Ribot



Aléa climatique: l’exemple québécois

Au-delà des constats, des outils et des initiatives, d’autres participants sont venus présenter leurs méthodes, par exemple en matière de réhabilitation et d’aménagement des quartiers informels. Le Rwandais Jean de Dieu Kubwimana, chargé de cours au département d’arpentage de l’Institut de sciences appliquées (Ines) de Ruhengeri, a ainsi détaillé le fonctionnement du dispositif IDP (Independant development program), permettant de transformer des zones d’habitat précaires en habitat plus dignes et mieux organisé. Le jeune ingénieur a décrit une méthode basée sur l’analyse des risques mais aussi celle de l’accessibilité des transports et des services publics indispensables. Inscrit dans l’agenda 2063 de l’Union africaine, baptisé «The Africa we want» («L’Afrique que nous voulons»), le programme IDP a déjà permis, dans les zones où il a été appliqué, de réduire les temps de transport vers les écoles et les services de santé tout en améliorant les conditions de vie des habitants. «Une ville, c’est complexe. Surtout, si on la veut durable et pérenne», a rappelé le Québécois Francis Roy, géomètre-arpenteur et professeur de géomatique à l’Université Laval. Soulignant la nécessité de disposer d’un cadre législatif adapté et de données fiables, il a rappelé l’importance croissante prise, en matière d’aménagement et de réflexion urbanistique, par la prévision de l’aléa climatique. Prenant exemple sur les inondations survenues dans la «Belle Province» en 2017 et 2019, à la faveur de crues exceptionnelles du fleuve Saint-Laurent, il a demandé à l’auditoire de s’interroger: «Quelles conséquences ces catastrophes naturelles peuvent-elles avoir sur l’usage et la valeur du foncier? Quels effets peut induire une nouvelle cartographie, modifiée par l’aléa climatique, sur la valeur foncière de nos biens?».

L’intelligence artificielle pour l’analyse des villes
Pour évaluer au plus près ces risques, les universités de perfectionnement de la FGF ont consacré leur dernière table ronde aux potentialités de l’intelligence artificielle. Une IA qu’il faut bien sûr apprendre à maîtriser, en validant à la fois les données utilisées (l’input) et les données générées (l’output), a rappelé Francis Roy. Mais une IA qui permet aussi de varier les approches méthodologiques, comme l’a illustré Jean de Dieu Kubwimana en présentant les travaux de machine learning conduits sur un quartier de Kigali. En entraînant l’IA à analyser et à comparer l’accroissement de la population et les relevés de températures dans une zone délimitée de la capitale rwandaise, il a ainsi été possible d’établir une corrélation étroite entre les deux phénomènes. Des données qui pourront par la suite être utilisées afin de proposer des solutions d’aménagement durable. L’IA peut aussi apporter un concours efficace à la gestion du foncier. Ainsi, en Côte d’Ivoire, le système Sigfu, boosté par une IA entraînée selon la méthode du deep learning, aide les autorités à identifier les nouveaux bâtis avec une acuité de 97,7%. Un dispositif crucial dans un pays où 80% des chantiers démarrent sans autorisation.
A la découverte de ces travaux, le nouveau président de la FGF, le Français Jean-François Dalbin (lire ci-dessous), s’est dit «émerveillé par la qualité des prestations et des travaux présentés par les pays participants». Une effervescence que les géomètres-experts ivoiriens espèrent bien perpétuer à Abidjan, dès 2025, tout comme leurs confrères gabonais, en 2026, puis béninois, en 2027.




Marc Vanderschueren et Jean-François Dalbin. © S. Ribot

Un Français à la tête de la FGF

La Fédération des géomètres francophones (FGF) a profité de ces universités de perfectionnement pour élire son nouveau président. Il s’agit du Français Jean-François Dalbin, président d’honneur du Conseil supérieur de l’Ordre des géomètres-experts, qui a été élu à l’unanimité pour un mandat de quatre ans et succède ainsi au Belge Marc Vanderschueren, lequel aura passé six ans à la tête de la FGF. A ses côtés, le nouveau bureau réunit la Béninoise Conchita Mèvo Guézo Kêdowidé (vice-présidente), le Marocain Khalid Yousfi (trésorier), et la Congolaise Godelive Phanzu Vangu (secrétaire). Six délégués accompagneront le nouveau conseil: Marc Vanderschueren, président d’honneur de la FGF, en charge de la liaison avec la Fédération internationale des géomètres (FIG), Francis Roy (Québec), responsable de la formation, Dominique Lougoui (Togo), responsable du sponsoring Afrique et de la communication, Bernard Desmedt (Belgique), en charge du sponsoring hors-Afrique. Mahamadou Konte (Mali) hérite des relations subsahariennes et, enfin, Ousmane Aliou Niasse (Sénégal) s’occupera des relations avec les professions connexes. Le mandat du nouveau président de la FGF démarre sous le signe de la parité, comme l’illustre la composition du bureau de la Fédération. Jean-François Dalbin a également indiqué qu’il souhaitait mettre en place un dispositif de tutorat pour parrainer les jeunes géomètres francophones.