Métier
Une voie ferrée surveillée par monitoring
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
A Chamonix-Mont-Blanc, le programme immobilier de prestige Paradisa porté par le promoteur immobilier Isatis (groupe Priams) bénéficie d’une situation privilégiée. A deux pas des rues piétonnes commerçantes et des pistes de ski, cette résidence de quatre étages est aussi à proximité immédiate de la ligne de train reliant Saint-Gervais-les-Bains à Vallorcine. Pour éviter tout accident en lien avec la voie ferrée sur ce chantier, la société Alp’VRD Ingénierie, maître d’œuvre terrassements, VRD et aménagements extérieurs, a fait appel au cabinet de géomètres-experts Hyp-Arc, spécialisé dans les mesures de haute précision.
«Dès que des travaux sont effectués sous maîtrise d’ouvrage externe à proximité des voies ferrées, le maître d’œuvre doit nous fournir un dossier technique qui justifie le respect des normes décrites par nos référentiels», indique Camille Barabas, responsable de projet «affaires tiers» à la direction territoriale Auvergne-Rhône-Alpes de SNCF Réseau. Les directives de sécurité ferroviaire imposent aux maîtres d’ouvrage de réaliser une analyse des risques dès la conception du projet, les terrassements à proximité des voies ferrées pouvant notamment conduire à des déformations de voies inacceptables pour la circulation des trains. «L’identification des risques s’effectue en concertation avec le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et, le cas échéant, le bureau d’étude.»
«Il s’agissait d’un chantier assez technique, avec beaucoup de contraintes liées à la proximité de la voie ferrée et à la faible profondeur de la nappe phréatique, dont le niveau est de plus influencé par celui de la rivière Arve toute proche», rapporte Tanguy Brand, conducteur de travaux chez Alp’VRD Ingénierie. Deux niveaux de sous-sol étant prévus, un dispositif de pompage temporaire a dû être mis en place pour le rabattement de la nappe phréatique jusqu’à l’étanchéification du sous-sol. «Le rabattement de nappe est toujours une source d’inquiétude, explique Camille Barabas. Nous sommes attentifs aux garanties apportées pour qu’il ne déstabilise pas la plateforme ferroviaire.» La mise en place d’un protocole de surveillance des voies a été exigée pour permettre de réaliser le chantier en maintenant un fonctionnement ferroviaire normal ou à vitesse réduite. Le maître d’œuvre a fait appel au cabinet Hyp-Arc implanté à Archamps (Haute-Savoie), déjà identifié comme un partenaire de confiance à la fois par Alp’VRD et par SNCF Réseau.
Des logiciels développés en interne
«Créé en 1996 par Philippe Scholtès, la société s’est tout de suite orientée vers les travaux spéciaux. Aujourd’hui, les mesures de haute précision représentent 80% de notre activité, les 20% restant étant consacrés aux travaux fonciers et à la copropriété», rapporte Olivier Le Donge, qui a repris le cabinet en 2018. Spécialisé dans l’auscultation des ouvrages d’art au service des gestionnaires d’infrastructure, celui-ci surveille une cinquantaine d’ouvrages hydrauliques en France, et s’est également illustré sur plusieurs projets du Grand Paris Express. Equipé de matériel de pointe, il développe ses propres outils et logiciels de mesure, de contrôle, de validation et de télésurveillance afin de maîtriser l’ensemble du processus. Ses compétences couvrent aussi l’étalonnage et le calibrage d’appareils topographiques, ou encore la fabrication sur mesure de prismes de haute précision. «Nous essayons de garantir la mesure la plus fiable et la plus transparente possible avec différents protocoles», résume Olivier Le Donge. Les logiciels développés en interne permettent à la société de s’adapter au mieux à la demande des clients.
A Chamonix, elle a mis en œuvre son système de surveillance Vigile, créé en 2012, qui permet de piloter différents types de capteurs: stations totales multimarques, GNSS de marque suisse Happy Survey et clinomètres Leica. Offrant la possibilité de paramétrer des calculs et des alertes en fonction de seuils déterminés par le client, il permet de réagir rapidement à des déformations inquiétantes et de fournir une explication cohérente et adaptée au contexte.
Sollicité par Alp’VRD dès août 2022, lors du montage du dossier auprès de SNCF Réseau, le cabinet de géomètres-experts a installé son système d’auscultation automatisée sur la voie ferrée en mai 2023. «C’est une voie particulière, sans caténaire mais avec un troisième rail électrifié, et nous étions obligés de demander une coupure de courant complète», relate Cédric Le Hen, chargé d’affaires pour Hyp-Arc sur ce dossier. L’intervention s’est déroulée sur une journée en présence d’un agent SNCF et a débuté par un levé de voie. Elle a mobilisé deux personnes, l’une pour installer 40 prismes sur une seule voie (profil tous les 3m), l’autre pour installer et haubaner le mât géodésique servant à fixer le théodolite et pour connecter le système complet. Une mesure à blanc des prismes sur la voie et d’une référence hors de la zone d’influence du chantier a aussi été réalisée.
«Le théodolite a été relié à une armoire développée en interne. Ce caisson étanche contient un ordinateur, des capteurs de pression et de température, un modem 4G pour la transmission des informations ainsi que plusieurs relais et convertisseurs», précise Cédric Le Hen. Le système a été paramétré pour un déclenchement de cycles de mesures toutes les 30min (enregistrement des valeurs de pression et de température, puis mesure complète de l’intégralité des prismes, avec fermeture sur référence pour validation). «Les données sont enregistrées dans l’armoire de commande et le fichier de calcul des paramètres de voie – dévers, gauche et nivellement longitudinal – est généré directement sur place, en fonction des valeurs seuil fournies par la SNCF.»
Un suivi sur 28 semaines
«Nous étions chargés uniquement d’une surveillance de l’altimétrie brute sur chaque prisme, avec un premier seuil à 15min, déclenchant des alertes mail et SMS en temps réel», ajoute le chargé d’affaires. Des filtres d’alerte adaptés au secteur ferroviaire ont été développés pour éviter que des dépassements de valeur seuil ponctuels, liés au passage d’un train ou aux conditions météorologiques, ne déclenchent des alertes. «Un point qui subit une déformation alors que les autres restent stables n’est pas significatif», explique Cédric Le Hen. Stockés sur un serveur accessible par toutes les parties, les résultats sont accompagnés de graphiques qui simplifient la compréhension des rapports. «Ce côté convivial est très apprécié, souligne Camille Barabas. Hyp-Arc nous fournit toutes les justifications dont nous avons besoin pour garantir la sécurité des trains, et se montre très réactif pour répondre à nos demandes.»
Un suivi complet a été assuré sur 28 semaines, soit pendant toute la durée du chantier de terrassement et de fondation. «Aucune alerte n’a été générée», se félicite Camille Barabas. Les travaux de la résidence se poursuivent actuellement sous l’œil attentif de SNCF Réseau, d’autres désordres pouvant intervenir en phase de gros œuvre. Le cabinet Hyp-Arc mène quant à lui de nouveaux projets. «Nous essayons de développer du monitoring avec du matériel GNSS fourni par Happy Survey. Les premiers tests menés sur des glissements de terrain en forêt sont très prometteurs», se réjouit Olivier Le Donge.
Une stratégie de développement payante
Le monitoring demande des investissements conséquents. «Il y a deux ans, 25 systèmes fonctionnaient en même temps. La surveillance de la création de la quatrième voie à Strasbourg a mobilisé à elle seule 7 appareils et 500 prismes», souligne Olivier Le Donge. Cette stratégie de développement s’avère toutefois payante. En France, le cabinet Hyp-Arc compte désormais 11 collaborateurs, et la société souhaite se développer à Paris en 2024. La société Hyp-Arc Belgique a par ailleurs été créée à Charleroi en 2022, avec une orientation métrologie industrielle. En 2023, Hyp-Arc s’est aussi associée avec deux cabinets suisses pour créer Hyp-Arc Monitoring, une société spécialisée dans la mesure de précision et les travaux spéciaux, le monitoring et l’auscultation d’ouvrages.