Gouvernance
Quand l’expert se transforme en dirigeant

Diriger est un exercice délicat dans un contexte aussi mouvant que celui du géomètre-expert: aléas politiques, climatiques, macro et micro-économiques complexifient la donne dans un écosystème déjà compliqué. Mais il faut aussi voir le verre à moitié plein: certains défis portent en eux les germes de progrès sociétaux essentiels.
Le sentiment de vivre une époque de grands bouleversements peut donc à la fois être source de stress et d’exaltation. Reste une dualité: d’un côté, le dirigeant se trouve confronté à des problématiques du quotidien, qu’il lui faut résoudre par une prise de décision rapide et suffisamment éclairée; de l’autre, il doit prendre en compte les défis posés à l’échelle du pays, sans parler d’un contexte international pour le moins déstabilisant. C’est quasiment d’une longue-vue dont aurait besoin chaque chef d’entreprise, tant la visibilité est faible et l’influence sur les décisions plutôt du ressort des fédérations professionnelles. Dans un tel contexte, il faut toutefois avancer, en dosant savamment la prudence et l’audace, dans un mélange subtil de petites décisions et de grands virages, lesquels nécessitent d’être particulièrement bien préparés. En l’occurrence, ce sont souvent les microdécisions – ces choix du quotidien – qui produisent les transformations les plus significatives.
Pas tous à l’aise mais tous concernés
Dans le cadre de sa formation initiale, aucun géomètre-expert n’est entraîné à diriger. En accédant à ces responsabilités après une pratique professionnelle déjà conséquente – à l’occasion d’une création de structure, d’un rachat ou d’une fusion – certains géomètres-experts font l’expérience d’un virage professionnel particulièrement stimulant. D’autres y voient au contraire un défi anxiogène, vampirisant même, susceptible de les éloigner d’un cœur de métier qu’ils aiment. Comment faire la part des choses entre perspective stimulante et source d’inconfort? Il faut d’abord accepter la complexité voire le paradoxe: on peut tout à fait avoir une appétence naturelle pour la stratégie et détester la conduite des entretiens annuels. De la même manière, on peut être un bon planificateur et un piètre recruteur.
Pour autant, il n’y là a aucune fatalité. Plus on est formé, encadré, outillé, plus on est susceptible de finir par prendre plaisir à l’accomplissement de ces tâches. Le dirigeant d’aujourd’hui doit donc, plus que jamais, savoir prendre de la hauteur, accepter de se faire accompagner, confronter sa vision à celle de ses pairs, sans quoi il court le risque de gâcher une opportunité de mieux vivre son statut.
Manager, gérer, diriger
Les termes «management» – issu du latin manus qui signifie «main», et du verbe agere qui veut dire «agir» – et «gestion» n’ont pas la même signification. Le premier, apparu en France au cours des années 1960, recouvre les pratiques et savoir-faire liés à l’organisation du travail et aux relations humaines. Le second concerne plutôt la conduite des affaires sur un plan quantitatif et objectivement mesurable, comme la rentabilité financière. Or, le fait de diriger implique de concilier à la fois les enjeux humains et économiques et la mise en œuvre d’une vision stratégique clairement définie. Ainsi que le théorisait Henri Fayol, pionnier de la gestion d’entreprise et précurseur du management, le fait d’«administrer» repose sur cinq piliers: prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler.
Le sociologue Renaud Sainsaulieu, pour sa part, estime que l’essentiel réside dans les relations de travail et les dynamiques internes des entreprises, qui doivent permettre d’«autonomiser» les salariés tout en faisant face aux pressions économiques mondialisées. Longtemps, la hiérarchie a été incarnée par un modèle pyramidal, avec à son sommet la figure du patron et de son management vertical, du haut vers le bas. Or, cet archétype du dirigeant absolu, rigide, autoritaire et omnipotent, est désormais obsolète. Les rapports humains dans l’entreprise s’en trouvent bouleversés, la notion d’équipe étant désormais devenue prépondérante.
Le rapport au travail a fait sa révolution
Parmi les nombreux bouleversements qu’elle a engendrés dans la société, la pandémie de Covid-19 a mis en lumière les changements de priorités des collaborateurs de l’entreprise. Le travail est certes toujours un moyen de subsistance et la notion de pouvoir d’achat reste omniprésente dans le débat public, mais les notions de bien-être, d’adéquation entre leurs valeurs et celles de leur employeur, ainsi que la quête de sens sont devenues centrales.
Les nouvelles générations, en particulier, accordent une importance croissante à l’épanouissement, cherchant en permanence à concilier vie professionnelle et vie privée, sans que la première prenne le pas sur la seconde. Charge au dirigeant, dont la culture professionnelle est parfois éloignée de ces aspirations, de réussir à les prendre en compte.
A l’heure où l’intelligence artificielle fait planer le spectre d’un remplacement de l’humain par la machine, l’entreprise doit donner une raison d’être à chacun. Les collaborateurs veulent se sentir écoutés, valorisés: leur voix doit compter dans une société par ailleurs beaucoup plus attentive aux discriminations et aux inégalités, et plus intransigeante face aux pratiques de harcèlement. La diversité et l’inclusion comptent désormais parmi les objectifs des politiques RSE (responsabilité sociale des entreprises), elles-mêmes étant le reflet, depuis maintenant plusieurs années, de ces profondes transformations. Le défi qui se pose au dirigeant moderne consiste à intégrer toutes ces dimensions dans la conduite des affaires d’une entreprise rentable, et ce malgré un climat social parfois inflammable.
Les clés pour entreprendre
L’Union nationale des géomètres-experts a organisé, les 30 et 31 janvier derniers, ses traditionnelles Rencontres nationales. Cette année, les organisateurs ont souhaité innover en proposant à leurs adhérents des rencontres, des témoignages, des partages d’expériences. Parce que le géomètre-expert évolue aujourd’hui dans un contexte concurrentiel marqué par une évolution technologique incessante et des perspectives économiques incertaines. Parce que, pour développer son activité dans cet environnement changeant, il doit aujourd’hui savoir marier une solide compétence métier avec des qualités de gestionnaire, de manager et d’entrepreneur. Autant d’aptitudes qui s’apprennent, se travaillent, s’échangent afin de diffuser au sein d’un métier expert une réelle culture de l’entreprenariat. Avec l’arbitre international de foot Tony Chapron, le président de la CPME Amir Reza-Tofighi, le spécialiste de la valeur travail Antoine Foucher mais aussi des géomètres-experts engagés dans l’aventure entrepreneuriale, ce dossier vous invite à découvrir comment et pourquoi, en 2025, on peut choisir de devenir un dirigeant.
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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré à la gouvernance dans le magazine Géomètre n°2233, mars 2025, en consultant notre page «Le magazine».