Vu du ciel
Face à l’inexorable montée des eaux
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
Le réchauffement climatique, dont l’origine humaine ne fait plus de doute, engendre la fonte des glaces continentales (Antarctique, Groenland et glaciers de montagne) et la dilatation de l’eau, deux phénomènes dont le cumul conduit à une hausse inexorable du niveau des océans et à l’exposition des populations côtières à un risque croissant. Cette tendance étant irréversible, la question n’est plus de savoir comment on pourrait la stopper (tout au plus pourrait-on la ralentir quelque peu avec un changement radical des modes de consommation et de transport), mais quel sera son comportement dans les prochaines décennies, en vue d’une nécessaire adaptation.
Les marégraphes côtiers et les satellites qui survolent les océans avec des altimètres radar combinent leurs données pour suivre la progression du niveau de l’eau et pour alimenter des modèles prédictifs. Ces modèles prévoient toujours des scénarios variés, des plus optimistes aux plus pessimistes, compte tenu d’une double incertitude: la connaissance scientifique bien sûr, mais surtout les efforts auxquels les sociétés humaines sauront consentir. Un ordre de grandeur raisonnable et facile à se représenter se dessine au milieu de cette marge d’erreur: le niveau des mers pourrait s’élever d’un mètre avant la fin de ce siècle. Dès lors, toutes les régions côtières situées jusqu’à un mètre d’altitude (et même un peu plus dans la mesure où la tendance se poursuivra au cours des siècles suivants) sont menacées de submersion, et il ne s’agit d’ailleurs plus d’un aléa, puisque cette issue est devenue une certitude.
Anticiper la submersion
Prédire l’emplacement des zones inondées ne pose aucune difficulté conceptuelle: ce sont les zones où le niveau de l’eau est supérieur au niveau du sol (fourni par un modèle numérique de terrain). Cependant, le croisement de ces données se heurte à deux limites. Tout d’abord, la prédiction du niveau moyen des océans, qui s’élève de quelques millimètres par an, n’est pas suffisante, car il faudrait tenir compte des marées et d’événements météorologiques pour anticiper des scénarios de submersion, difficiles à prévoir et à quantifier, mais dont on sait qu’ils seront de plus en plus fréquents. Il n’y a donc pas une date fatidique à laquelle l’eau atteindra la porte de notre maison, mais une séquence d’inondations de plus en plus fréquentes, qui se terminera à terme par une inondation définitive. Par ailleurs, les modèles numériques de terrain sont certes disponibles à l’échelle mondiale, mais, pour ce genre de prédiction, leur précision est insuffisante, même si des post-traitements sont proposés pour les améliorer. Cela exige des relevés adaptés, plus précis, effectués localement dans les régions exposées, mais les spécifications techniques ne font pas consensus. A ces limites s’ajoute la nécessaire prise en compte des caractéristiques locales du terrain, comme l’imperméabilisation des sols en zone urbaine, dont la contribution aux inondations est considérable.
C’est donc sur fond de données scientifiques incertaines que des décisions politiques doivent être prises, dès maintenant, pour anticiper la submersion de villes côtières où se concentre une part importante de l’humanité. S’il faut déplacer près d’un milliard d’habitants, des réseaux de transport et d’énergie, des activités agricoles et industrielles, le défi technique et le coût financier sont gigantesques. Les géomètres du monde entier doivent s’y préparer, car ce sera aussi une réforme foncière d’une ampleur inédite.