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COP28
«L’économie pousse désormais dans le sens de la transition énergétique»

La COP28 qui vient de s’achever a-t-elle été le théâtre d’un bon ou d’un mauvais accord? Pour l’économiste Christian de Perthuis, créateur de la chaire d’économie du climat à l’université Paris-Dauphine, l’engagement pris de désinvestir dans les énergies fossiles est une excellente nouvelle. La voie vers une économie décarbonée est désormais en marche. Pour se réjouir véritablement, il conviendra toutefois, prévient-il, de ne pas négliger la traduction à venir de cet accord par chacun des pays signataires...
Propos recueillis par Samuel Ribot | Le lundi 15 janvier 2024
«Les pays riches continuent de gaspiller beaucoup trop d’énergie alors qu’une partie de la population mondiale n’y a toujours pas accès. La dynamique de l’investissement bas carbone est très forte, mais terriblement inégale.» © S. Ribot

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On a du mal à y voir clair: la conclusion de cette COP28 constitue-t-elle une bonne ou une mauvaise surprise?
Christian de Perthuis: C’est la confirmation d’un virage, qui a commencé à être pris il y a deux ans à Glasgow où, pour la première fois, la question de la sortie des énergies fossiles s’est imposée dans une COP. Mais la décision finale s’est contentée de citer le charbon. A Dubaï, le texte indique clairement qu’il va falloir engager rapidement le désinvestissement de toutes les énergies fossiles pour limiter le réchauffement climatique: charbon, pétrole et gaz. Ce virage est essentiel. Ce qui fait baisser les émissions de gaz à effet de serre, ce n’est pas d’ajouter des éoliennes ou du solaire. C’est de réduire l’utilisation des énergies fossiles et donc, sur le plan économique, de désinvestir ces secteurs. 

Mais cet accord, une fois de plus, n’est pas contraignant... 
Ch. de P.: C’est la raison pour laquelle il va falloir être très vigilant: cette COP28 a été l’occasion de faire le bilan des engagements pris lors de la première période quinquennale d’application de l’accord de Paris qui s’achève l’an prochain. Les Etats ont désormais deux ans devant eux pour reformuler leur Contribution déterminée au niveau national (CND), c’est-à-dire leurs engagements déposés auprès des Nations unies. Le virage engagé deviendra une réelle avancée si les Etats rehaussent à la suite de la COP l’ambition de leurs engagements d’ici à 2025.

L’un des objectifs affirmés est «le triplement de la production d’énergies renouvelables et le doublement de l’efficacité énergétique en 2030». Sommes-nous prêts à relever ce défi? 
Ch. de P.: Ces deux chiffres étaient déjà formulés dans le rapport de l’Agence internationale de l’énergie sur les perspectives énergétiques mondiales. Pour ce qui est du triplement des énergies renouvelables, c’est plutôt bien parti. Il y a eu en 2023 une accélération énorme sur le solaire, notamment en Chine, mais aussi dans les autres pays émergents, en Europe et aux Etats-Unis. L’éolien est dans une phase un peu plus délicate, avec la hausse des taux d’intérêts et les difficultés de l’éolien offshore. Mais, globalement, on est sur une trajectoire de très forte accélération en matière de déploiement des énergies renouvelables dans le monde. Là où le bât blesse, c’est sur l’efficacité énergétique. Nous n’y sommes pas du tout, alors que c’est essentiel: si l’on veut substituer les énergies renouvelables aux énergies fossiles, il faut impérativement freiner notre consommation énergétique. Et cela passe par l’efficacité, c’est-à-dire des maisons mieux isolées, des véhicules et surtout des comportements plus sobres. Or, sur ce point, les gouvernements sont moins enclins à agir... 

«Ne négligeons pas nos propres responsabilités dans le prolongement de l’aventure pétro-gazière», écriviez-vous avant la COP28. Sommes-nous réellement prêts à abandonner les énergies fossiles?
Ch. de P.: J’ai été assez choqué de voir avant la COP que les critiques se concentraient sur les Emirats arabes unis en disant qu’il n’y aurait aucune avancée puisque ce pays est un gros producteur et exportateur de pétrole. Il y a une forme d’hypocrisie qui consiste à ne pas admettre par exemple qu’un continent comme l’Europe n’a absolument pas commencé à désinvestir dans les secteurs du gaz et du pétrole. En réaction à la guerre en Ukraine, on a par exemple distribué des permis d’exploration de pétrole et de gaz au Royaume-Uni et en Norvège. Côté demande, on a multiplié les investissements pour construire des terminaux GNL afin d’utiliser plus de gaz liquéfié acheminé depuis le Qatar et l’Amérique du Nord. De ce point de vue, la position des pays producteurs de gaz et de pétrole agit comme un miroir déformant, qui nous renvoie, de façon amplifiée, un problème auquel nous sommes nous-mêmes confrontés: sortir de notre addiction aux énergies fossiles.

Nous avons rejeté en 2023 un volume record de carbones fossiles (37 gigatonnes). Comment aller vers une neutralité carbone en 2050 dans ces conditions?
Ch. de P.: En 2023, il y a un «effet Chine» qui est en partie conjoncturel. La Chine est sortie de son confinement à la fin de l’année 2022, et 2023 a donc été marquée par un redémarrage. Il faut regarder les tendances de moyen terme. Depuis l’accord de Paris (2015), les émissions de CO2 provenant de l’usage des fossiles sont en fort ralentissement. Si l’on inclut les rejets provenant de la déforestation, les émissions totales de CO2 sont sur un plateau. Maintenant, nous devons inverser rapidement la tendance historique et faire baisser massivement ces rejets. Compte tenu de leur poids dans les émissions mondiales, la Chine (un tiers du total mondial) et les autres grands pays émergents joueront un rôle crucial dans le rythme de cette décrue. 

La Chine et l’Inde ont semble-t-il fait moins de difficultés qu’attendu lors de cette COP. Faut-il s’en étonner?
Ch. de P.: L’Inde a été moins perturbatrice qu’elle ne l’avait été à Glasgow, c’est vrai. La Chine, de son côté, cherche depuis des années à jouer un rôle de médiation. Elle a donc aidé à trouver un compromis qui était difficile à établir, entre les petits Etats insulaires soutenus par l’Europe et d’autres pays en développement réclamant une sortie rapide de l’ensemble des énergies fossiles, d’une part, et la stratégie d’obstruction poursuivie par les pays producteurs, d’autre part. Les Etats-Unis, eux, sont dans une situation plus inconfortable, car ils sont devenus un producteur majeur de pétrole et de gaz. Mais, finalement, ils ont joué le jeu.

Objectivement, a-t-on des raisons d’être optimiste?
Ch. de P.: Les fossiles ont perdu la bataille des coûts. C’est essentiel! L’économie pousse désormais très fortement dans le sens de la transition énergétique, puisque l’éolien et le solaire sont devenus la façon la moins coûteuse de fabriquer et de distribuer de l’électricité. Nous sommes dans la bonne direction, mais pas du tout dans le bon tempo. Il y a surtout un problème majeur d’équité: les pays riches continuent de gaspiller beaucoup trop d’énergie alors qu’une partie de la population mondiale n’y a toujours pas accès. La dynamique de l’investissement bas carbone est très forte, mais terriblement inégale. Les pays moins avancés ne reçoivent pas du tout les financements climat nécessaires, pour s’adapter au réchauffement global. Cela a aussi été un constat à Dubaï dont on a moins parlé. Je serai vraiment optimiste le jour où l’on sera capable de transférer beaucoup plus de richesse vers ces pays, au titre de la justice climatique.  


A lire: Carbone fossile, carbone vivant – Vers une nouvelle économie du climat, éditions Gallimard, 288 pages, 21 euros, ISBN 978-2073026637.