ABONNEZ-VOUS

Empiétement
Servitude non ædificandi: la Cour de cassation ignore le besoin de «mesures précises»

Une construction plus que trentenaire sur une partie de l’assiette d’une servitude non ædificandi, éteint celle-ci dans son entièreté, alors même que l’empiétement est minime et n’est pas visible sans procéder à des opérations de mesurage précises.
François Mazuyer, géomètre-expert honoraire, expert honoraire près la cour d’appel de Pau | Le vendredi 3 mai 2024
© F. Piot / Adobe Stock

Il est assez rare que les tribunaux aient à se prononcer sur l’extinction d’une servitude non ædificandi, qui proscrit toute construction sur une partie d’un terrain... D’où l’intérêt de l’arrêt du 26 octobre 2023 de la 3e chambre civile de la Cour de cassation (1).
En l’espèce, un fonds B est grevé conventionnellement d’une servitude non ædificandi au bénéfice d’un fonds A. Sur ce fonds B se trouve un hôtel construit en 1959. Une expertise judiciaire conclut qu’une partie de l’hôtel a été implantée dans la zone frappée d’interdiction de construire.
Un jugement de première instance, constatant que, depuis plus de trente ans, une partie minime de l’hôtel est construite sur l’assiette de la servitude non ædificandi, considère que la servitude est éteinte par un non-usage trentenaire mais que cette extinction est limitée à la seule partie objet de l’empiétement.
Ce n’est pas l’avis de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, par un arrêt du 27 janvier 2022, considère qu’il n’y a pas lieu de considérer l’importance de l’empiétement dès lors que celui-ci, même sur une surface limitée, existe de façon continue depuis trente ans, ce qui suffit à éteindre la servitude dans son entièreté.
Les propriétaires du fonds bénéficiant de la servitude se pourvoient en cassation et font valoir: 
– d’une part que «le non-usage trentenaire d’une servitude négative ne saurait entraîner son extinction que si les actes contraires à cette servitude sont de nature à éveiller l’attention du propriétaire du fonds dominant et à provoquer sa contradiction» alors qu’en l’espèce, les premiers juges avaient relevé que l’empiétement était minime et qu’il «n’était pas visible sans procéder à des opérations de mesurage précises»;
– d’autre part, en se fondant sur l’article 708 du Code civil («Le mode de la servitude peut se prescrire comme la servitude même, et de la même manière»), qu’une construction contraire à la servitude ne pouvait éteindre celle-ci que pour la seule partie sur laquelle l’ouvrage avait été édifié et non pas sur la totalité de l’assiette.
Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi pour deux raisons. Premier motif: l’article 708 n’est pas applicable au litige, la construction d’un ouvrage dans la zone frappée d’une interdiction de construire fixée par une servitude non ædificandi ne constituant pas une modification du mode d’exercice de la servitude mais un acte contraire à son exercice. Second motif: par sa nature même, la construction immobilière était apparente et visible et le propriétaire du fonds dominant avait été en mesure d’en contester l’empiétement. Elle en déduit que peu importe l’ampleur de la méconnaissance de la servitude réalisée par la construction, celle-ci constituant un acte contraire qui, datant de plus de trente ans, l’avait éteinte en totalité.
Si l’on comprend aisément la non-application de l’article 708, la décision est étonnante en ce qui concerne le second motif. Car, s’il est évident, comme le souligne la Cour de cassation, que la construction était «apparente et visible», il semble tout autant évident qu’à partir du moment où l’empiétement était minime et, comme l’avait souligné les premiers juges, «pas visible sans procéder à des opérations de mesurage précises», mesurage que ne pouvaient faire les propriétaires du fonds dominant sans pénétrer dans la propriété de ceux du fonds servant et donc avec leur accord, le vice de clandestinité aurait pu être considéré.  

(1) Cass. 3 civ., 26 octobre 2023, n°22-13.910.