ABONNEZ-VOUS

L’entretien
«Le foncier rural, une question existentielle pour la Côte d’Ivoire»

A l’occasion de sa présentation, lors du Salon international de l’agriculture de Paris, de la Stratégie nationale et du Programme national de sécurité foncière rurale 2023-2033, Géomètre fait le point avec Nahouo Amadou Coulibaly, directeur de la communication, de l’information, de la formation et de la sensibilisation de l’Afor (Agence foncière rurale).
Propos recueillis par François Mazuyer, président d’honneur de la Fédération des géomètres francophones (FGF) | Le mercredi 1 mai 2024
Champ d’ananas en Côte d'Ivoire. © Pablo / Adobe Stock

Le foncier rural représente environ 23 millions d’hectares, soit presque 70% du territoire de la Côte d’Ivoire. Quelles en sont les problématiques spécifiques?
Nahouo Amadou Coulibaly: La première problématique est à la fois d’ordre technique et géographique: quelles sont les limites du domaine foncier rural? Elle relève du domaine foncier rural l’ensemble des terres qui ne sont ni urbaines, ni touristiques, ni zones d’utilité publique, ni forêts classées ou aires protégées. Cette question des limites prend davantage d’ampleur quand on tient compte du caractère évolutif des différents domaines. En effet, le domaine urbain est en évolution constante; il en est de même des autres domaines dont les limites sont sans cesse mouvantes. Dans ces conditions, le rôle de l’Etat est de préciser de manière dynamique les limites respectives de chacun des domaines. La seconde problématique est la conséquence de la première: une fois les limites du domaine foncier rural connues, qui y exerce les droits? La question touche à la sécurité juridique dans les rapports des détenteurs de droits avec l’Etat ou entre eux et au sein de l’Etat: quels sont les détenteurs de droits sur le domaine foncier rural? l’Etat? Les collectivités territoriales? Les particuliers? La réponse demande de détacher le domaine foncier rural appartenant à l’Etat de celui dit «coutumier», qui relève des autres détenteurs de droits (collectivités, personnes physiques et morales). Une fois cette opération effectuée, une difficulté surgit: s’agissant du domaine foncier rural dit coutumier, quels en sont les détenteurs de droits? Les personnes physiques et, si oui, les autochtones? Les hommes exclusivement? Les femmes? Les personnes morales? Questions lourdes de tensions certes, mais questions utiles dont la résolution intelligente permet de garantir la paix et la cohésion sociale. En effet, la croissance démographique et les phénomènes migratoires tant internes qu’externes ont intensifié la pression foncière en milieu rural, ce qui a accru la compétition pour le contrôle des terres, socle du développement de la Côte d’Ivoire, essentiellement basé sur l’agriculture. Cette compétition pour les terres a augmenté les risques de conflits fonciers au sein des communautés, entre les communautés, entre les familles et même au sein des familles, faisant ainsi peser une réelle menace sur la paix et la cohésion sociale dans les villages et le pays. Cette situation est exacerbée par les transactions sur les terres rurales s’effectuant hors de tout cadre légal et réglementaire. En outre, dans certaines régions, en raison des survivances traditionnelles, l’appropriation individuelle de la terre est difficilement admise. Lorsque cela est admis, c’est en général au profit des hommes et des aînés, excluant de fait les femmes et les jeunes de l’exercice de droits fonciers autonomes.

S’agit-il là des seules difficultés auxquelles vous devez faire face?
N.A.C.: J’en vois deux autres. Une problématique d’ordre opérationnel: quelles techniques mettre en œuvre pour réaliser le départ entre les différents domaines? Et, à l’intérieur du domaine foncier rural, entre les différents ayant-droits? Question de méthodologie, question d’approche qui se posent en termes de procédures à concevoir, de délais de réalisation, de coûts et de sources de financement. A l’épreuve des faits, en dehors des zones où l’Etat met en œuvre des opérations de sécurisation foncière, les populations rurales détenant des droits fonciers coutumiers s’intéressent très peu à la procédure d’enregistrement de leurs droits (1). Cette situation s’explique par la méconnaissance des textes régissant le domaine foncier rural mais, surtout, par les délais et coûts de réalisation d’une opération qui, quand elle est faite à la demande (de façon isolée), est à la charge du ou des intéressés. Il y a enfin une quatrième problématique, qui est d’ordre économique: comment valoriser le domaine foncier rural? Quelles activités y conduire? De façon plus précise, comment exploiter de manière durable le domaine foncier rural dans l’intérêt bien compris des générations actuelles et futures? 
C’est là tout l’intérêt qu’il y a à encadrer la valorisation du domaine foncier rural en tenant compte des exigences de la lutte contre le changement climatique, des groupes vulnérables et plus largement des objectifs du millénaire pour le développement et des impératifs du développement de la Côte d’Ivoire. Globalement, le foncier rural constitue une question existentielle pour la Côte d’Ivoire.

Ce contenu est réservé aux abonnés
En vous abonnant au mensuel Géomètre, vous recevrez la version imprimée pendant un an au lieu de votre choix et aurez accès immédiatement à l’ensemble des contenus en ligne du site geometre-lemag.fr.
En achetant le numéro correspondant à cet article (janvier 2024), vous recevrez la version imprimée et aurez accès immédiatement à l’ensemble de son contenu en ligne.

Abonnez-vous ou achetez le numéro pour lire la suite de l’article

JE M’ABONNE (11 NUMÉROS) / J’ACHÈTE CE NUMÉRO JE ME CONNECTE