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Décision
Sans indiscrétion sur le fonds voisin, pas de servitude de vue illicite

Dans une décision du 13 juin 2024, la Cour de cassation a considéré que les vues d’une nouvelle construction, malgré la distance insuffisante, n’étaient pas irrégulières, car ne présentant pas de caractère d’indiscrétion.
François Mazuyer, géomètre-expert honoraire, expert honoraire près la cour d’appel de Pau | Le mardi 26 novembre 2024
© rh2010 / Adobe Stock

Les dispositions de l’article 678 du Code civil qui règle les possibilités d’avoir des vues directes sur le fonds contigu ont pour objectif d’empêcher la création de situations où la vie privée d’un voisin pourrait être compromise. Elles n’ont donc pas vocation à s’appliquer en l’absence de risque d’indiscrétion. L’intention des auteurs du texte était de protéger l’intimité des propriétaires voisins, de garantir leur tranquillité en prévenant les intrusions visuelles et donc de limiter les possibilités de créer des vues directes sur leurs propriétés contiguës.
La dernière partie de la seule phrase que constitue l’article (lire ci-dessous), qui exclut l’application des distances à respecter lorsque le fonds sur lequel s’exerce la vue est déjà grevé d’une servitude de passage, est une première restriction. La jurisprudence est largement venue préciser les cas dans lesquels l’article 678 s’applique ou pas.
L’article ne s’applique pas si les fonds ne sont pas contigus (Cass. 3 civ., 22 mars 1989, n°87-17.454), même séparés par une simple venelle appartenant à un tiers (CA Bordeaux, 7 janvier 1966). Il ne s’applique que s’il y a une construction, donc pas pour un mobil home ou une caravane dont les fenêtres sont situées à moins de 1,90m de la limite (CA Montpellier, 1er juin 2004). Il n’est pas applicable si la fenêtre litigieuse ne donne que sur la voie publique (Cass. 3 civ., 28 septembre 2005, n°04-14.769). Il est inapplicable à des vues s’exerçant sur un toit lui-même dépourvu d’ouverture ou donnant sur un mur aveugle (CA Aix-en-Provence, 19 juin 1962).
Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation (Cass. 3 civ., 13 juin 2024, n°22-18.732, inédit), une société propriétaire d’une parcelle, sur laquelle est édifié un hôtel, procède à l’extension de celui-ci. Constatant qu’une terrasse de l’extension de l’hôtel est partiellement située à moins de 1,90m de la limite séparative, le syndicat des copropriétaires du fonds voisin assigne la société en suppression des vues irrégulières. La cour d’appel de Chambéry rejette la demande en retenant qu’était exclu tout «risque d’indiscrétion» au préjudice de la copropriété.
La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel en retenant que celle-ci a d’abord relevé «que la vue offerte par la construction contestée était virtuelle, dès lors que la copropriété voisine avait planté, avant la construction de l’extension de l’hôtel, des arbres pour dissimuler l’hôtel et d’autres constructions». Qu’elle a ensuite retenu «que la terrasse litigieuse avait pour seule fonction de permettre l’évacuation des occupants de l’hôtel en cas d’incendie, ce qui était confirmé par une signalétique». Qu’enfin, elle a constaté «que cette terrasse n’était accessible de l’intérieur de l’hôtel que par une issue de secours, des garde-corps ayant été installés sur les portes-fenêtres des chambres attenantes, et qu’il était malaisé de parvenir jusqu’à la terrasse depuis l’extérieur».
La configuration des lieux écartant tout risque d’indiscrétion sur le fonds voisin, la cour d’appel en a souverainement déduit que la demande de démolition devait être rejetée.


 

L’article 678 du Code civil
«On ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d’aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l’héritage clos ou non clos de son voisin, s’il n’y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions.»