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Vu du ciel
Les déformations de l’écorce terrestre observées

De Pline le Jeune qui décrivit l’éruption du Vésuve, à Sténon qui reconnut au XVIIe siècle que l’empilement des strates géologiques était une marque du temps, l’observation des transformations de l’écorce terrestre est longtemps restée spéculative. Les progrès des dernières décennies sont venus de la mesure.
Laurent Polidori | Le lundi 5 février 2024
Une éruption volcanique peut faire rapidement apparaître une île au milieu d’un océan. © bennymarty / Adobe Stock

La lithosphère – cette croûte rocheuse qui recouvre notre planète – subit des déformations incessantes. Les plaques continentales glissent lentement à la surface du magma; les forces tectoniques dressent des montagnes, la gravité les fait s’effondrer avec le concours de la pluie, du vent et des actions humaines; l’eau arrache un morceau de terre sur un rivage pour le déposer ailleurs; le creusement de cavités souterraines provoque des subsidences; l’écorce terrestre oscille en réponse à l’action conjointe de la Lune et du Soleil, et s’affaisse sous le poids de l’eau et de la glace...
Ces phénomènes font l’objet de surveillance, que ce soit pour la recherche scientifique qui les considère comme les manifestations en surface de phénomènes géophysiques internes, ou pour la gestion des risques compte tenu de l’impact que peuvent avoir sur les biens et les personnes, un éboulement, un séisme ou l’érosion du littoral.
Ces déformations se produisent à toutes les échelles, du très petit au très grand. Echelles d’espace: de la corrosion sous contrainte qui engendre dans les matériaux des microfissures invisibles à l’œil nu, à l’éruption volcanique qui peut faire apparaître une île de 100m de haut au milieu d’un océan. Echelles de temps: de l’effondrement d’une falaise en quelques secondes, au rebond post-glaciaire, lente remontée de l’écorce qui reprend progressivement sa position d’origine depuis la fin de la dernière glaciation il y a 20.000 ans.

Des méthodes diverses et complémentaires
L’auscultation qui permet de détecter, quantifier et modéliser ces déformations, fait appel à une boîte à outils de plus en plus fournie, avec des techniques instrumentales adaptées aux différentes échelles spatiales et temporelles. Ainsi, la mesure des déformations de faible étendue fait volontiers appel à la station totale et au niveau, en complément de mesures très locales faites à même la déformation (fissuromètre, tiltmètre...), tandis que les méthodes spatiales permettent au contraire d’ausculter à distance de vastes territoires. Le GNSS mesure en continu le déplacement de quelques stations, permanentes ou disposées à l’occasion d’une campagne de mesure; l’interférométrie radar produit une image du déplacement entre deux dates de passage d’un satellite, en tout point sauf en présence d’eau ou de végétation; la gravimétrie est sensible aux variations du champ de pesanteur pouvant être produites par des déplacements de masse; la corrélation d’images révèle des déplacements horizontaux, y compris sur de très longues périodes de temps lorsque des archives de photographies aériennes sont disponibles.
Ces seuls exemples montrent la diversité des méthodes de mesures, tant terrestres que spatiales, qui sont complémentaires entre elles, les limites d’une méthode étant compensées par les données d’une autre. Tandis que la recherche instrumentale améliore sans cesse la précision des différentes méthodes et la connaissance de leurs limites, l’expertise géologique permet de faire le bon choix parmi les différentes possibilités, d’optimiser le déploiement d’un dispositif de mesure (choix des lieux et des dates) et d’affiner l’interprétation des résultats. Une collaboration accrue entre la science et la mesure permet ainsi de détecter des déformations infimes, pouvant être sources de dégâts ou signes avant-coureur d’évolutions catastrophiques à prévenir.