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Vu du ciel
Ariane 6: relève assurée à Kourou

Lancée depuis Kourou le 9 juillet dernier, la fusée européenne Ariane 6 a réussi son vol inaugural. Mais quelles nouveautés ce lanceur apporte-t-il?
Laurent Polidori | Le jeudi 12 septembre 2024
Illustration de la fusée Ariane 6 qui mettra en orbite des satellites d’observation. © Fox_Dsign / Adobe Stock

L’expérience montre que le pre­mier vol d’un lanceur présente un risque d’échec élevé, et de fait, le vol inaugural d’Ariane 6 n’a pas manqué d’être perturbé par une anomalie technique, en fin de mission, sans impact heureusement sur la mise en orbite des satellites. Avec une charge utile non commerciale constituée de plusieurs nanosatellites universitaires, ce vol inaugural était surtout destiné à valider le lanceur avant le démarrage d’une activité commerciale, un an après le dernier vol d’Ariane 5.
Mais pourquoi avoir interrompu Ariane 5? Malgré l’échec du premier vol en 1996, le lanceur a connu un grand succès technique (117 vols dont 112 réussis), assurant vingt-cinq ans de suprématie à l’offre d’Arianespace. Mais ce leadership va progressivement se dégrader, le marché des lanceurs connaissant au même moment les plus fortes turbulences de son histoire: à partir de 2008, les économies occidentales se resserrent, tandis que des puissances spatiales émergentes, comme la Chine et l’Inde, qui lancent des fusées depuis quarante ans, arrivent sur le devant de la scène. Par ailleurs, des acteurs privés viennent prendre une part croissante dans une activité qui était l’apanage des agences spatiales publiques. SpaceX entre ainsi en concurrence frontale avec Arianespace. Enfin, on constate une demande croissante pour une offre bon marché et flexible, notamment la capacité de lancer des grappes de nanosatellites.
Dans ce contexte, les limites d’Ariane 5 deviennent évidentes et les travaux de développement d’un nouveau lanceur débutent officiellement en 2014 en vue d’un début d’activité en 2020. La pandémie du Covid-19 survient malheureusement au moment où la relève devait avoir lieu, ce qui va paralyser le programme spatial européen (1). Un an après le dernier lancement d’Ariane 5, son successeur était attendu avec impatience.

Une charge de 20 tonnes
Quelles nouveautés apporte Ariane 6 par rapport au programme précédent? Ce qu’on retient d’Ariane 5, c’est avant tout sa puissance. Cette forme massive flanquée de deux énormes boosters, si différente de l’élégante silhouette d’Ariane 4, et capable d’emporter une charge de 20 tonnes. Cette luminosité spectaculaire lors des vols nocturnes: un lever de soleil sur la plaine de Kourou. Ariane 6 avec 4 boosters (version 64) a la même puissance qu’Ariane 5, mais en retirant deux boosters (version 62), le nouveau lanceur devient plus sobre, adapté à des missions moins gour­mandes en énergie. Ariane 6 possède donc une plus grande faculté d’adaptation, essentielle dans un contexte commercial tendu, avec la capacité d’embarquer sur le même lanceur des satellites de tailles très différentes et sur des orbites différentes. Autre nouveauté: le moteur Vinci, qui permet de propulser l’étage supérieur de la fusée, peut être éteint puis rallumé plusieurs fois, contrairement à celui d’Ariane 5 qui, une fois allumé, continuait à fonctionner jusqu’à épuisement du combustible. Le dernier rallumage permet de contrôler la chute dans l’atmosphère en fin de mission. Enfin, l’une des principales innovations est l’assemblage couché: cette opération complexe qui consiste à placer le satellite à bord de la fusée, sera plus rapide et moins coûteuse, car, pour la première fois, il se fera à l’horizontale.
Ainsi, malgré la réutilisation de certains concepts empruntés aux lanceurs antérieurs, comme le premier étage du petit lanceur Véga qui devient booster pour Ariane 6, ce sont plusieurs réelles innovations qui permettent au pro­gramme européen d’espérer pouvoir reprendre la place dominante qui était la sienne. Avec l’évolution rapide des équilibres géopolitiques et la diversité des besoins qui vont d’Internet à la conquête de la Lune, cette position est toutefois instable, stimulant la recherche et la «diplomatie spatiale».  

(1) Lire Géomètre n°2195, octobre 2021, page 23.