Risques naturels
Face à la mécanique défectueuse des sols
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
C’est un lieu emblématique et unique qui fait la réputation de la ville de Bonifacio, en Corse-du-Sud. Et pourtant, l’érosion menace et fragilise ce site exceptionnel. La citadelle, construite sur une falaise de 106m de haut, pourrait voir le sol se dérober d’ici une centaine d’années. Même si cette échéance peut paraître lointaine, des signes d’affaissement existent déjà, entraînant l’interdiction de l’accès à des plages situées en contrebas ainsi qu’à deux bâtiments proches du belvédère. Ce possible effondrement est dû à deux failles hautes de 80m qui se croisent dans la roche calcaire. Trois années de sondages et d’expertises ont permis d’établir cette réalité, qui provoque par ailleurs la fragilisation de vingt-cinq maisons situées en bord de falaise. En mars 2023, une réunion publique était organisée pour répondre à l’inquiétude des habitants et en particulier des propriétaires. L’Etat s’est engagé à financer des études complémentaires sur les structures et la stabilité des constructions. Pour les deux bâtisses déclarées par la préfecture comme «inhabitables», il n’est pas scientifiquement possible de prévenir un mouvement de terrain. Cette décision a été prise pour prévenir tout risque potentiel. Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio, a souligné qu’il était «très compliqué de demander à de vieilles familles, installées depuis des générations de partir». Mais comme pour l’heure aucune solution technique ne permet de consolider la falaise, la mairie met en avant «la communauté scientifique et des décisions prises en cohérence avec les résultats des études», actant ainsi l’impossibilité de conserver ce site en l’état. De nouveaux aménagements sont à l’étude sur deux places de la citadelle, des mesures préventives comme le recul d’environ 5m vis-à-vis du parapet ou encore la suppression d’un boulodrome, pourraient être envisagées.
Rétrécissement et gonflement
Des pluies intensives ou une sécheresse accrue, conséquences du réchauffement climatique, impactent de plus en plus les collectivités qui ont des constructions sur des sols argileux ou calcaires. A Villerville, dans le Calvados, une trentaine de familles, en première et deuxième lignes au-dessus de la falaise, ont vu leur habitation menacée pendant de nombreuses années. Les variations de la teneur en eau des sols argileux peuvent en effet entraîner un rétrécissement en période de sécheresse et un gonflement en période de pluies. Ce phénomène de retrait-gonflement des sols argileux (RGA) fragilise les maisons, les routes et autres réseaux enterrés. Une végétation ou des réseaux trop proches des façades, un écoulement des eaux vétuste, des canalisations fissurées, mais aussi l’extension de maisons, sont autant de circonstances qui accélèrent l’apparition de dommages. 10,4 millions de maisons individuelles, sur un total de 20 millions, sont exposées au RGA en France, selon le ministère de la Transition écologique (chiffres 2021). «L’indemnisation des dommages liés au RGA se fait dans le cadre du régime des catastrophes naturelles [dit Cat Nat]. Le coût cumulé du RGA s’amplifie énormément: sur la période 2020-2050, il est estimé à 43 milliards d’euros, soit le triple par rapport à 1989-2019», explique Vincent Ledoux, député (Renaissance) du Nord, qui a remis un rapport sur ce sujet à Gérald Darmanin en octobre dernier. Le parlementaire insiste sur le fait que «les mesures en place aujourd’hui ne sont ni à la hauteur des enjeux ni adaptées à la souffrance des victimes». Une ordonnance du 8 février 2023, applicable depuis le 1er janvier 2024, doit élargir les critères de reconnaissance Cat Nat actuels afin d’intégrer davantage de communes, en premier lieu celles qui ont déjà connu de multiples événements de sécheresse. Le nombre de sinistrés indemnisés devrait donc mécaniquement augmenter. Mais seuls les sinistres susceptibles d’affecter la solidité du bâti vont être dédommagés, excluant les fissures d’ordre esthétique, qui étaient jusque-là prises en compte par les assureurs.
Au-delà des complexes questions d’indemnisation, la prise en charge du RGA doit être plus large, nécessitant des formations spécialisées pour les experts, mais aussi la prise en compte de la problématique du relogement, avec des enjeux de prévention et d’adaptation. L’ensemble des acteurs concernés, propriétaires, constructeurs, bureaux d’études, collectivités, doivent être mieux informés et sensibilisés sur ce sujet. Aujourd’hui, à titre de prévention, chaque propriétaire de maison construite avant 2019 (et la loi Elan) peut faire un autodiagnostic RGA en ligne.
Multiplier les stations météorologiques
Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) étudie depuis quelques années déjà ce phénomène et préconise de multiplier les stations météorologiques qui mesurent en continu le taux d’humidité des sols argileux. Actuellement, il en existe dix-neuf dans le sud de la France. Sur son site, l’établissement public d’Etat note qu’«aujourd’hui, il y a un réel besoin de ce type de mesures dans le contexte du changement climatique. Il faut corréler les différentes données afin de mieux comprendre les interactions sol-atmosphère et maîtriser l’évolution du phénomène RGA. Cette nouvelle connaissance va également permettre l’émergence de nouvelles solutions d’adaptation du bâti exposé à la sécheresse des sols». Depuis 2022, le Cerema mène une expérimentation financée par l’Institut Carnot Clim’adapt, près de Vendôme dans le Loir-et-Cher, en mesurant la teneur en eau volumétrique des sols argileux à trois profondeurs différentes, sur quatre parcelles comportant trois maisons.
Un des objectifs de l’études consiste à analyser comment les maisons à ossature bois se comportent lorsqu’elles sont construites sur un terrain argileux exposé au RGA. Pour y parvenir, «il faut développer un maillage de 1.000 stations météorologiques du sol dans les communes les plus à risque, pour permettre une remontée des données ainsi récoltées et affiner la décision de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle de la commune», préconise Vincent Ladoux dans son rapport. C’est exactement la démarche d’Estaires, dans le Nord, qui a initié une station réalisant de nombreux relevés concernant l’air et les sols. En installant sa propre station de contrôle au-delà des données de Météo France, cette municipalité espère prouver que le RGA est bien la cause des dommages sur une centaine de maisons, sur les 3.300 habitations que compte ce bourg. N’étant pas en situation de catastrophe naturelle, les assurés ne peuvent être, pour l’heure, indemnisés.