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Assises nationales de la sobriété foncière
Les chemins étroits de l’application du ZAN

A l’heure du zéro artificialisation nette, la sobriété foncière s’impose à tous les acteurs de la ville. Même si elle remet en cause les façons de faire et doit être acceptée par les habitants comme par les élus, des solutions se développent pour limiter la consommation des espaces et faire revenir la nature en ville.
Sophie Le Renard | Le mercredi 24 juillet 2024
Vue sur la ville d’Aix-en-Provence. © Marina / Adobe Stock

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La sobriété foncière en zone urbaine

• Séance locale d’Aix-en-Provence
• Mercredi 3 juillet, 8h30



Le constat est unanime: la sobriété foncière est le défi du siècle. Mais la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN), fixée par la loi climat et résilience du 22 août 2021, demeure complexe et inquiète les acteurs de la ville, élus, architectes, aménageurs, promoteurs... D’ici 2031, les collectivités devront réduire de moitié le rythme de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) par rapport à la décennie précédente (2011-2021). «Pour l’heure, la consommation d’espaces reste élevée, la réduction de 50% prévue n’est pas encore atteinte dans de nombreuses collectivités», observe Rémi Delattre, agrégé de géographie, qui a étudié 6.000 documents d’urbanisme entre 2021 et 2023. Alors comment accélérer la réduction de l’artificialisation? Le Sénat s’est emparé du sujet. A la suite d’une proposition de loi, une deuxième «loi ZAN» (1) a été publiée le 21 juillet 2023, dans le but de surmonter les difficultés juridiques et pratiques rencontrées dans les territoires. Mais le débat est loin d’être clos. La chambre haute a donc lancé deux autres missions, dont un rapport d’étape est publié ce mois-ci, pour un rendu complet en septembre et une hypothétique nouvelle proposition de loi en 2025. «Cette démarche doit permettre aux élus de bénéficier d’un cadre juridique stabilisé et de règles du jeu beaucoup plus opérantes», espère Jean-Baptiste Blanc, sénateur (LR) du Vaucluse, qui mène depuis des mois cette double mission transpartisane. 

Trajectoire territorialisée du ZAN
La première de ces deux études recueille les opinions par rapport au ZAN et fait état du suivi de son application. La seconde tente de définir un modèle économique, fiscal et financier. En effet, il convient de s’intéresser au coût du ZAN pour les collectivités. A ce jour, aucune étude d’impact n’a été menée, entraînant une absence de données chiffrées. Fédérations et associations d’élus, aménageurs mais aussi ONG, instituts, think tanks consacrés aux enjeux de renaturation, de biodiversité et de la ressource en eau ou encore experts du volet financier et fiscal ont été auditionnés. «Toutes les personnes rencontrées partagent les objectifs du ZAN. C’est la méthode qui ne va pas», déplore le sénateur Blanc. Pour éviter de multiplier les dérogations qui videraient le ZAN de sa substance, la mission sénatoriale souhaite réfléchir à une trajectoire territorialisée et à la façon d’appréhender le calcul de l’artificialisation. Dans les territoires ruraux, le ZAN semble difficile à appliquer. Il est même considéré par certains élus comme un frein à leur développement. C’est le cas de Christophe Rivenq, président d’Alès Métropole, qui souhaite son abandon en milieu rural mais aussi une meilleure prise en compte des spécificités des territoires. 

Favoriser la ville du quart d’heure
«Nous avons consommé peu d’espaces mais un seul hectare pourra être artificialisé par an. C’est une équation impossible. Nous devons absolument sortir du cadre national», dit-il avec conviction. Pour contrer cette consommation d’espaces artificialisés aux effets néfastes (îlots de chaleur urbain, sécheresse, perte de biodiversité, raréfaction de la ressource en eau...), les modèles urbains doivent évoluer vers plus de sobriété foncière. La densification des zones pavillonnaires mais aussi les surélévations d’immeubles existants et le retour de la nature en ville sont autant de solutions que les professionnels mettent en œuvre à différentes échelles. En milieu urbain, produire des logements en plus grande quantité sur une même surface fait partie des solutions déployées. «La densité est la plus élevée là où l’accès aux transports en commun est le plus important. La densité favorise donc la ville du quart d’heure. Mais elle est parfois mal acceptée, aussi nous devons la rendre désirable», souligne Vincent Fouchier, directeur prospective et conseil de développement de la métropole Aix-Marseille-Provence. 

Potentiel du foncier aérien
Autre piste à explorer, le foncier aérien, qui nécessite dans un premier temps une meilleure connaissance de son potentiel d’exploitation. Un outil, «Upfactor», permet de réaliser des études sur la qualification du bâti existant et de voir le nombre de mètres carrés qui pourrait être construit sur leurs toits. «Nous intervenons pour de nombreuses collectivités comme Rennes métropole ou Strasbourg qui a un potentiel de surélévation de 25% de ses bâtiments existants, soit la production possible de 3.800 logements sur une dizaine d’années», détaille Didier Mignery, concepteur de Upfactor. Mais la surélévation semble néanmoins complexe à mettre en œuvre. «Il faut trouver des opérateurs capables de réaliser ces projets, le monde de l’immobilier doit changer», prévient-il. Toutes ces solutions nécessitent un travail d’orfèvre, mené avec l’ensemble des acteurs. Le retour de la nature en ville est un autre enjeu essentiel pour faire baisser les températures en milieu urbain. «Il faut adapter nos villes au réchauffement climatique par l’eau et la végétation», affirme Jean-Baptiste Griesmar, architecte. Sur cette thématique, les paysagistes sont en première ligne pour trouver des solutions. 

Une urbanisation raisonnée 
Jean-Marc Bouillon, de la société Takahe Conseil, a développé le concept d’«aquapuncture», pour une gestion fine de l’eau mais aussi une coopération à la fois publique et privée pour une plus grande efficacité dans la lutte contre le stress hydrique. «Comment gérer et stocker l’eau de pluie, connaître les surfaces perméables, repérer les zones d’accumulation? Il faut donner l’envie aux habitants de coopérer grâce à un bon diagnostic et distiller un nouveau récit», estime-t-il. Ce travail pour une meilleure cohésion sera d’autant plus utile que le réchauffement climatique va engendrer des dysfonctionnements urbains importants et entraîner des choix douloureux. «Il y a une urgence à trouver des solutions. Quand les villes atteindront 50 degrés nous ne pourrons plus y planter d’arbres», prévient le paysagiste. Pour éviter le scenario du pire, la ville de Nîmes a réinvesti d’anciennes pépinières pour réaliser un parc urbain en centre-ville et ainsi sanctuariser des zones qui ne pourront jamais être artificialisées. Pour favoriser la sobriété foncière, lutter contre l’intensification urbaine mais aussi valoriser la nature en ville, cette collectivité a mis en place un guide sur la qualité des logements et le cadre de vie. 
Il s’adresse à tous les acteurs de la ville, géomètres-experts, pouvoirs publics, architectes, urbanistes, paysagistes... «La notion de cadre de vie est essentielle. Il faut conduire une urbanisation raisonnée», considère Julien Plantier, premier adjoint délégué à l’urbanisme de la ville de Nîmes.  

(1) Loi n°2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux.



TÉMOIGNAGE
«Il faut imaginer un bien commun pour notre si beau pays»


© S. Le Renard

C’est une parole unique dans le monde de l’architecture et de la construction. Célèbre pour avoir construit le Mucem à Marseille, âgé de 72 ans et fort de 45 ans d’expérience, l’architecte Rudy Ricciotti a assisté aux Assises nationales de la sobriété foncière à Aix-en-Provence. Il y a livré sa vision des défis auxquels sont confrontés les acteurs de la ville. Avec un franc-parler qui lui est propre, il met en avant le rôle exemplaire des élus et des ingénieurs.

Vous dénoncez «une démagogie politique qui multiplie les normes» et qui entraverait notre récit constructif. Comment combattre cette situation? 
Rudy Ricciotti: Les maires mais aussi les entreprises du BTP, qui représentent 7 millions d’employés, sont martyrisés par une réglementation aveugle. L’Etat doit marquer une solidarité avec les élus alors qu’il se comporte comme un gendarme. Il faut s’engouffrer dans les interstices entre les fonctions de l’Etat, des élus et des collectivités territoriales à différents niveaux. Il faut garder l’espoir et se mettre du côté de l’intelligence et non de la démagogie politique. Je crois beaucoup au rôle des ingénieurs, qui sont l’avant-garde du pays. Il y a beaucoup de recherche et de développement pour produire du béton avec une empreinte environnementale quasi nulle. L’économie environnementale ne passera pas par des contraintes bureaucratiques, mais par de l’innovation. 

Quelle est votre vision de la sobriété foncière?
R.R.: Là encore il faut ouvrir les champs de l’innovation, car il y a une réelle crispation réglementaire. Il nous faut être subversif pour participer à la croissance urbaine, avec des outils plus savants. Car c’est dans les interstices de la réglementation que le futur se dessine. La trajectoire du ZAN n’offre pas des perspectives de croissance et ne permet pas non plus de réformer la densité, les surélévations ou encore d’en finir avec les parkings constitués d’enrobé. Dans ce contexte de sobriété foncière, la maison individuelle n’a pas d’avenir. Mais nous pouvons construire des R+2 ou R+3 tout à fait confortables si nous les traitons avec générosité. Il faut imaginer un bien commun pour notre si beau pays.

Comment jugez-vous le rôle des géomètres-experts? 
R.R.: J’ai beaucoup d’estime pour les géomètres-experts, c’est un métier d’intelligence disposant d’une lecture sociale sensible. Ils utilisent des méthodes de calcul savantes qui ne sont, hélas, pas reconnues. Les géomètres-experts ne s’expriment sans doute pas assez.





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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré aux Assises nationales de la sobriété foncière dans le magazine Géomètre n°2226, juillet - août 2024, en consultant notre page « Le magazine ».





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