Qualification de la géodata
«Il est essentiel de qualifier la donnée en fonction de ce qu’on veut en faire»
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
Quels sont les enjeux actuels de la qualification de la Data?
Olivier Minot: Ce qui se joue, c’est la question de la valorisation intrinsèque de la data. Parce qu’à l’heure où il y a de plus en plus de données, où celles-ci deviennent de plus en plus accessibles et où l’on constate parallèlement une démocratisation des techniques d’acquisition et de transmission de la data, la qualité peut s’y perdre. Lorsqu’on a beaucoup de données, on a du mal à les retrouver. Pour faire une comparaison, songez que chacun peut disposer aujourd’hui chez soi de 10000 à 100000 photos prises sur dix ans. Mais combien en regardons-nous? Le seul moyen d’exploiter ces données est de travailler à un système de classification efficace, qui permette de qualifier la donnée afin de pouvoir en faire une exploitation plus intelligente par la suite. C’est exactement ce qui se joue aujourd’hui autour de la data.
Diriez-vous que la profession fait face à une révolution inédite de ses pratiques?
O.M.: Plutôt que de révolution, je parlerais d’évolution. Il est vrai que nous voyons arriver beaucoup de data, de plus en plus de numérique, du cloud, ce qui nous permet d’aller plus vite sur des sujets qui prenaient plus de temps auparavant. Mais la vraie révolution se produira lorsque nous disposerons d’intelligences artificielles génératives, ce qui devrait arriver d’ici une dizaine d’années. Ces IA seront capables de réfléchir par elles-mêmes, de créer de la valeur là où, aujourd’hui, elles «se contentent» d’être des superordinateurs doués de parole, qui recrachent un certain nombre de data qu’elles ont ingérées. Ce qui induit d’ailleurs le risque de faire des erreurs dans la mesure où il suffit que les données transmises ne soient pas bonnes pour que le résultat soit inexact... Les IA génératives, elles, marqueront sans doute une forme de révolution.
Olivier Minot
«La profession de géomètre-expert est un métier exigeant, qui demande une grande adaptabilité, ce que notre profession a su faire de tous temps. Nous allons donc nous adapter à l’IA.»
Les géomètres-experts ne courent-ils pas dès aujourd’hui le risque d’être concurrencés par les outils numériques?
O.M.: C’est une question de point de vue. Lorsque la robotique a fait irruption dans le monde de l’automobile, certains ont réalisé que leur emploi allait disparaître. Mais, quand on voit tout ce que l’industrie automobile génère aujourd’hui comme activité à travers le monde, on constate que c’est justement cette robotisation qui a permis, en démocratisant l’accès à un produit qui coûtait cher, de générer de l’activité et de l’emploi. Mon premier réflexe aujourd’hui, ce serait donc la peur. Mais, en réfléchissant un tout petit peu, on peut aussi se dire que ces technologies vont nous changer la vie. La profession de géomètre-expert est une «petite» profession, avec moins de 2000 professionnels sur le territoire. C’est un métier exigeant, qui demande une grande adaptabilité, ce que notre profession a su faire de tous temps. Nous allons donc nous adapter à l’IA. Il y a d’ailleurs en ce moment un certain nombre de tests qui sont menés par les commissions, dont la commission expertise de la mesure de l’OGE, pour voir ce qu’on peut faire avec l’IA sur un procès-verbal (PV) de bornage. Le PV de bornage est une activité essentielle mais qui est très chronophage. L’utilisation de l’IA peut nous aider à réduire ce temps, voire à optimiser nos coûts sur cette activité. Si on le regarde de cette manière, l’IA peut être une excellente chose, sans sacrifier la qualité sur l’autel de la rentabilité. L’astrophysicien Stephen Hawking disait que l’intelligence était la faculté de s’adapter. Comme les géomètres-experts sont intelligents, ils sauront s’adapter.
La jeune génération vous paraît-elle plus sensible, plus préparée à ces enjeux?
O.M.: La jeune génération a plus de fraîcheur dans son approche, c’est évident. Mais je dirais que c’est presque son devoir! Néanmoins, pour prendre conscience des évolutions en cours, il faut aussi avoir une connaissance du passé. C’est pour cela que je crois beaucoup au mélange de cette fraîcheur des nouvelles générations et de l’expertise des «anciens», que ces derniers ont pu fabriquer en analysant leurs échecs. Les personnes plus expérimentées vont regarder avec un peu plus de méfiance les données qui sortent de logiciels tout faits qui ne demandent qu’à appuyer sur un bouton. Les jeunes, eux vont faire plus spontanément confiance à ces appareils et vont donc participer à une intégration plus facile de ces technologies au sein des entreprises. L’idéal est de maintenir un équilibre entre ces deux approches.
Ces technologies soulèvent aussi la question des «boîtes noires». Il s’agit là d’un enjeu majeur, non?
O.M.: Les ingénieurs n’aiment pas quand les choses leur échappent. Or, quand on dispose d’un outil qui fait tout tout seul mais qu’on ne comprend pas comment il fonctionne, on court le risque de se faire avoir. Ce qui est essentiel, c’est de qualifier la donnée en fonction de ce qu’on veut faire avec. Pour y parvenir, il faut maîtriser son sujet. Le problème des boîtes noires, c’est qu’elles vous installent dans une sorte de nonchalance intellectuelle, qui vous empêchera de réagir lorsque surviendront les difficultés. L’exemple du GPS est parlant: aujourd’hui, c’est une technologie qui est très bien installée, qu’on retrouve un peu partout, mais dont plus personne ne sait comment elle fonctionne. J’en connais moi-même les principes mais je suis incapable d’en fabriquer un. C’est pour cela qu’il est essentiel de qualifier la donnée issue de ce système de mesure. Pour cela, nous, les géomètres-experts, nous avons mis en place des protocoles de contrôle de la donnée GPS. Des techniques anciennes comme la station totale, la mesure de distance et la mesure d’angle permettent sur deux points fournis par la constellation GPS de vérifier si la distance est la bonne. Ce qui nous permet parfois de constater des écarts – qui sont liés au fait que le GPS est un modèle statistique – qu’il faut ensuite corréler à des tolérances fonction de l’usage cible. Si vous ne savez pas tout ça, vous allez fournir des mesures qui seront fausses. Vous allez devoir corriger, ce qui vous fera perdre du temps et de l’argent ainsi qu’aux personnes qui vous auront fait confiance. Ce que nous savons faire aujourd’hui en matière de qualification de la donnée avec le GPS, nous devons être capables de le faire demain avec des techniques comme celle de l’acquisition d’un nuage de points.
Comment travaillez-vous sur le sujet précis de la qualification de la data au sein de la commission expertise de la mesure?
O.M.: Nous sommes une petite dizaine au sein de la commission, qui mélange des géomètres-experts, des représentants des écoles d’ingénieurs ainsi qu’un représentant de l’industrie en lien avec notre métier de la géolocalisation et de la représentation de l’existant, en l’occurrence la société Teria. Toutes ces personnes cogitent ensemble, discutent des problèmes qu’elles peuvent être amenées à rencontrer ou qu’on leur a rapportés, et des sujets émergent assez naturellement de ces échanges. Dès que nous identifions des enjeux, des thématiques susceptibles d’être en lien avec notre activité, nous nous en emparons. Pour le cas de la qualification de la data, nous nous y sommes d’autant plus intéressés qu’il s’agissait d’une volonté exprimée par l’OGE, qui a identifié là une question stratégique, en lien avec la notion de compliance, et qui a souhaité que notre commission travaille sur le sujet.