Législation
Le logement en crise objet d’une nouvelle loi
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
«Aujourd’hui en France (comme dans d’autres pays européens), et plus spécifiquement dans certains territoires, trouver un logement correspondant à ses besoins, près de son lieu de travail, dans un cadre agréable, et surtout à un loyer ou un prix abordable, peut être difficile. Si elles sont accrues par la hausse des taux intervenue depuis deux ans, ces difficultés ne sont pas nouvelles: malgré la bonne volonté des maires, qui sont les principaux moteurs de la production de logements, la crise du logement est pour beaucoup de Français une réalité depuis longtemps. Face à cette situation, la réponse du gouvernement se résume à un mot: l’offre, l’offre, l’offre...», déclarait Guillaume Kasbarian, le ministre délégué chargé du logement, lors de la présentation d’une future loi pour favoriser «le choc de l’offre de logement abordable». Exposé en conseil des ministres, le 3 mai dernier, ce texte doit être examiné en urgence au Sénat à compter du 17 juin, puis par l’Assemblée nationale en septembre.
Les classes moyennes ciblées
Ce projet de loi rédigé en un mois a pour objectif de répondre à la crise actuelle du logement et s’adresse plus particulièrement aux maires ainsi qu’aux bailleurs sociaux. «Le marché de l’accession est bloqué, le niveau des permis de construire est le plus bas depuis trente ans, la demande HLM est très forte avec 2,6 millions de ménages en attente d’un logement social [800000 déjà dans le parc social souhaitent une mutation, Ndlr] et la production d’habitat social est très faible. Les annonces du ministre sont avant tout des juxtapositions de différents dispositifs, qui ne me semblent pas apporter de solution globale à cette grave crise», considère Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH). L’annonce phare et controversée évoquée lors du discours de politique générale fin janvier par Gabriel Attal, Premier ministre, concerne une modification de l’article 55 de la loi SRU, qui oblige les communes de plus de 3500 habitants à produire de 20% à 25% de logements sociaux (lire Géomètre n°2221, février 2024, page 11). Aujourd’hui, les collectivités qui n’atteignent pas cet objectif paient une amende à l’Etat. Ciblant les classes moyennes, le gouvernement souhaite intégrer des logements locatifs intermédiaires (LLI) dans ce calcul. Le projet de loi précise que cette évolution pourrait s’appliquer aux communes qui comptent plus de 15% de logements sociaux et qui ont signé un contrat de mixité sociale avec l’Etat, par lequel elles s’engagent sur une trajectoire et des moyens pour produire du logement social. En contrepartie de ces efforts, ces collectivités pourront réaliser 25% du rattrapage sous forme de logements intermédiaires.
Une limite a été fixée: LLI et logements en prêts locatifs sociaux ne pourront dépasser 40% du total produit en rattrapage. Pour le ministère, 650 communes déficitaires, sur 1.100, pourraient bénéficier de cet assouplissement. Le développement du logement intermédiaire est au cœur de cette politique. Désormais, les bailleurs sociaux pourront en détenir jusqu’à 20% dans leur parc, au lieu de 10% aujourd’hui. Le ministère estime que 4.000 logements de ce type, qui s’adressent à des familles cumulant jusqu’à 7.000 euros de revenus mensuels avec deux enfants, pourraient ainsi être produits.
Droit de veto pour l’attribution de logements neufs
Autre axe de la future réforme, l’attribution de logements sociaux neufs, qui serait réservée exclusivement aux maires. «Pour chaque logement neuf, l’édile bénéficiera du droit de classer les propositions faites par les réservataires et disposera d’un droit de veto, à motiver, sur les candidatures proposées par chaque réservataire sur son contingent. En outre, le préfet pourra déléguer au maire tout ou partie de son contingent de réservation pour les primo-attributions», précise la communication gouvernementale. Les maires auraient ainsi la main pour attribuer de nouveaux programmes de logements sociaux, ce qui représente 100.000 logements par an à l’échelle nationale. «Ce droit de veto est choquant et dangereux, car les critères pour refuser l’installation d’une famille ne sont pas précis. Il y a un risque de clientélisme sans garde-fou», s’insurge Jean-François Debat, maire (PS) de Bourg-en-Bresse (Ain). Le maire ne pourra néanmoins exercer qu’une seule fois par an ce droit de veto. D’autres mesures visent à simplifier les procédures pour construire plus vite. Le recours gracieux contre un permis de construire, ainsi que sa réponse, ne pourront excéder un mois chacun. Les élus sont aussi appelés à mieux maîtriser la densification dans le tissu pavillonnaire, via des orientations d’aménagement et de programmation dans les plans locaux d’urbanisme. Afin de permettre ces opérations, les collectivités devront prendre en compte, dans ces secteurs, le stationnement, les transports en commun, les équipements publics «en garantissant la qualité environnementale, l’insertion architecturale, urbaine et paysagère».
Renforcer la mobilité résidentielle
Les bailleurs sociaux qui le souhaitent pourront augmenter les loyers des logements anciens lorsqu’ils sont reloués, dans le respect des plafonds de revenus applicables aux logements neufs. Le paiement d’un surloyer pourrait-il redonner de l’air aux bailleurs sociaux ponctionnés par l’application de la compensation de la baisse de l’APL (réduction de loyer de solidarité, RLS) pour le gouvernement depuis 2017? «Le ministre dit qu’il redonne des fonds propres aux bailleurs sociaux, il ferait mieux de supprimer la RLS et de redonner des capacités d’autofinancement pour produire du logement», estime Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice (LR) et conseillère municipale de la ville de Nice (Alpes-Maritimes). Guillaume Kasbarian a par ailleurs souvent mis en avant «la fin d’un logement social à vie», annonçant l’application d’un surloyer dès le dépassement d’un euro des plafonds de ressources. «Pour les locataires en PLAI, logements très sociaux, ceux-ci sont très bas (13.889 euros par an), ce qui représente moins d’un Smic. Va-t-on ainsi appliquer un surloyer aux plus pauvres? Il faut rappeler que 35% de nos locataires vivent sous le seuil de pauvreté. D’ailleurs, l’étude d’impact de ce texte de loi montre qu’il y a peu de gens qui sont concernés par ces modifications», souligne Emmanuelle Cosse.
Les seuils d’application du surloyer vont aussi être révisés par décret, et le dépassement autorisé sera désormais de 20% et non plus de 50%. Au-delà, les locataires n’auront plus le droit de rester dans les lieux, sauf les personnes âgées de plus de 65 ans. De plus, lors de l’examen annuel de la situation des locataires, la détention d’une résidence secondaire sera prise en compte dans le calcul du plafond de ressources. L’objectif de ces mesures est, selon le ministère, «de renforcer la mobilité résidentielle pour que les logements sociaux soient occupés par ceux qui en ont le plus besoin».
TÉMOIGNAGE
Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice (LR) et conseillère municipale de la ville de Nice (Alpes-Maritimes)
«Un projet intéressant mais insuffisant pour résoudre la crise actuelle»
Comment jugez-vous ce projet de loi?
Il s’attelle à la problématique des classes moyennes, longtemps ignorée: des ménages trop riches pour aller dans le logement social et avec des revenus insuffisants pour le logement locatif libre ou pour pouvoir accéder à une propriété. Aujourd’hui, le parcours résidentiel est entièrement bloqué, alors ces propositions sont positives.
L’assouplissement de la loi SRU est-il positif?
Beaucoup de maires se révoltent contre cette obligation draconienne de production de 25% de logements sociaux, qui, quand elle n’est pas respectée, engendre d’importantes pénalités. Leurs efforts ne sont pas récompensés. Surtout que l’acte de construire est de moins en moins accepté par la population. L’introduction de logements intermédiaires est pour moi intéressante.
Pensez-vous que la loi va contribuer à résoudre la crise actuelle?
Certains points qui vont dans le bon sens pourront être enrichis lors du débat parlementaire. Mais ce projet à lui seul ne va pas permettre de résoudre la grave crise du logement que nous connaissons.