Collectivités
Quelles zones d’accélération pour les énergies renouvelables?
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
Des questionnaires, des réunions publiques... De nombreuses communes ont mis en place une concertation de leurs habitants conformément à la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (1), qui vise à établir une cartographie des zones susceptibles d’accueillir ces énergies en tenant compte de leur acceptabilité sociale. Mais certaines communes ont refusé de se livrer à l’exercice, qui n’a pas d’obligation légale. Il est en outre toujours possible pour un porteur de projet de développer une installation d’énergie renouvelable en dehors de ces zones d’accélération, mais la procédure s’avèrera plus longue et l’opération sera financièrement moins avantageuse pour la collectivité.
Une réponse au changement climatique
Pour diminuer ses émissions de gaz à effet de serre, la France s’est donnée pour objectif d’atteindre 33% d’énergies renouvelables dans son mix énergétique d’ici à 2030 (contre 20% actuellement). Mais, en février, la Commission européenne a demandé que cet objectif soit revu à 44% au minimum. Il y a donc urgence à agir, alors que les scientifiques s’interrogent sur une possible accélération du changement climatique.
La loi de mars 2023 prévoit de planifier avec les élus locaux le déploiement des énergies renouvelables en priorité sur les terrains déjà artificialisés, de simplifier les procédures d’autorisation en divisant par deux les délais d’instruction et de mieux partager la valeur générée par ces projets. «Il s’agit de remettre les maires au centre de la transition énergétique», estime Bénédicte Genthon, directrice adjointe bioéconomie et énergies renouvelables à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Il revient en effet au conseil municipal de déterminer, après concertation du public, quel type d’énergie renouvelable il veut favoriser et sur quelle portion de son territoire elle peut être installée. Il peut aussi en profiter pour définir des zones d’exclusion dans certaines parties habitées ou pour préserver des paysages ou des espaces naturels. Sont aussi concernées par ce dispositif les énergies dites de récupération, issues de la chaleur produite par les industries, les incinérateurs de déchets ou le traitement des eaux usées.
Pour Bénédicte Genthon, la définition de ces zones d’accélération des énergies renouvelables (Zaer) agit comme un signal à l’attention des développeurs: «Cette cartographie leur permet de savoir quelles sont les zones les plus propices qui seront a priori les mieux acceptées par la population». Toutefois, «l’objectif n’est pas l’autarcie mais la solidarité entre territoires», précise-t-elle.
En effet, l’ensemble des résultats enregistrés dans ces zones doit permettre d’atteindre des objectifs régionaux en matière de production d’énergies renouvelables. C’est pourquoi le zonage adopté par le conseil municipal est transmis à un référent préfectoral puis, après une conférence territoriale, au comité régional de l’énergie qui peut demander aux communes de revoir leur copie si le potentiel est jugé insuffisant pour atteindre les objectifs régionaux.
Pose de panneaux photovoltaïques sur le toit d’un entrepot. © AU USAnakul+ / Adobe Stock
De nouvelles compétences à développer
Plusieurs outils ont été mis en place pour aider les communes. Ainsi, un portail cartographique, créé par le ministère de la Transition énergétique, le Cerema et l’IGN, permet de visualiser le potentiel de chaque énergie renouvelable mais aussi les contraintes environnementales et réglementaires ainsi que les capacités d’accueil des réseaux d’électricité et de gaz. C’est également via cet outil que les communes peuvent déclarer leurs zones d’accélération. Si ces zones sont établies au niveau communal, les communes peuvent aussi se faire aider par les EPCI. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (Fnccr) a également mis en ligne l’application Terza, qui permet aux communes de visualiser leurs consommations énergétiques, leur production d’énergies renouvelables, le potentiel d’économies d’énergie et de simuler les installations à créer (nombre de mètres carrés de panneaux photovoltaïques, de mâts d’éoliennes, de méthaniseurs...). L’association Amorce a aussi développé l’outil de diagnostic Accèl’EnR. Enfin l’Ademe a lancé le réseau «Elus pour agir», qui vise à sensibiliser aux objectifs de la transition écologique et énergétique un élu référent dans chaque commune, ainsi que le réseau des générateurs, des conseillers en matière d’éolien et de photovoltaïque, présents dans treize régions.
Concilier sobriété foncière et énergies renouvelables
Evidemment, des questions essentielles se posent. Ce développement des énergies renouvelables risque-t-il d’avoir des conséquences sur l’évolution des paysages? Comment le concilier avec la loi climat et résilience qui prévoit d’atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) des sols en 2050? Selon l’Ademe, le total des surfaces nécessaires au déploiement des énergies renouvelables à l’horizon 2050 se situe entre 1,5 à 2,5% du territoire métropolitain. Mais cela ne signifie pas que ces surfaces vont être artificialisées. En effet, il faut distinguer la surface nécessaire à l’implantation d’un projet de la surface artificialisée qui conduit à l’altération des fonctions écologiques d’un sol (production d’aliments et de biomasse, régulation du cycle de l’eau, réservoir de biodiversité et de carbone), elle-même différente de la surface imperméabilisée par de l’asphalte ou du béton.
Ainsi, un parc éolien terrestre moyen de 10 à 15MW a besoin d’une surface d’implantation moyenne de 80 à 120ha, mais la surface imperméabilisée est de 0,01 à 0,02ha/MW (300 à 350m2 pour une fondation d’éolienne) tandis qu’un parc photovoltaïque au sol nécessite 1 à 2ha/MW pour une imperméabilisation moyenne de 0,002ha/MW. Quant à l’installation d’une unité de méthanisation, elle représente en moyenne 1 à 3ha et implique l’artificialisation de la totalité de son emprise.
«Il faut trouver du foncier», reconnaît cependant Bénédicte Genthon. «Mais la loi d’accélération des énergies renouvelables a permis de débloquer certains terrains qui n’étaient pas disponibles pour ce genre d’usage auparavant (bords d’autoroutes ou de voies ferrées) et rendu obligatoire le déploiement de panneaux photovoltaïques sur des toitures et parkings, y compris existants...»
Pour elle, la sobriété foncière n’est pas incompatible avec les énergies renouvelables. «Il faut mener les deux de front et penser qu’il peut y avoir des co-bénéfices: la présence d’une éolienne n’empêche pas de cultiver, de même que le photovoltaïque peut être déployé à travers des projets agrivoltaïques permettant d’apporter un service à l’exploitation agricole.» Mais la production d’énergie ne risque-t-elle pas d’influer sur la production d’alimentation et le maintien de la biodiversité? «Nous sommes au croisement d’enjeux de transition écologique», répond Bénédicte Genthon. «Il est important de travailler sur les impacts des EnR en adoptant une approche systémique. A ce titre, l’Ademe travaille à la mise en place d’un observatoire sur les EnR, la biodiversité, les sols et les paysages.»
Préserver les paysages et la biodiversité
Si les Zaer ne peuvent pas être implantées dans les Parcs naturels nationaux et leur aire d’adhésion, il n’en va pas de même pour les parcs naturels régionaux (PNR), qui doivent concilier production d’énergies renouvelables et protection de la biodiversité. Le PNR du Haut-Jura a élaboré un guide pour la définition des Zaer qui peut inspirer d’autres collectivités. Celui-ci mise d’abord sur la sobriété: «L’enjeu, c’est de réduire au maximum nos consommations d’énergie pour limiter au strict nécessaire le développement des énergies renouvelables et avoir le moins d’impact possible sur l’environnement et les paysages», explique Carole Zakin, chargée de mission climat-énergie. Ainsi, les responsables du PNR invitent à préserver le foncier agricole et les milieux naturels en tenant compte des espaces nécessaires à l’infrastructure du projet, mais aussi des ouvrages annexes et des accès. Ils rappellent qu’on ne peut pas créer de Zaer dans des espaces bénéficiant d’un arrêté préfectoral de protection de biotope ni dans des réserves régionales ou nationales selon les textes nationaux, ni dans les zones humides selon les orientations du parc.
Enfin, ils donnent des recommandations spécifiques à certaines énergies. En ce qui concerne le bois, la prudence est ainsi de mise. Carole Zakin pointe du doigt le dépérissement des forêts de résineux face au changement climatique, qui incite à préserver les feuillus – notamment les hêtres – sur lesquels reposent l’avenir de la forêt jurassienne. «Il va falloir optimiser les projets et isoler les bâtiments au maximum», souligne-t-elle. Pour le solaire photovoltaïque et thermique, il s’agit de privilégier les installations en toiture et sur des terrains dégradés ou artificialisés. Pour l’hydroélectricité, la recommandation est d’optimiser les ouvrages existants, de préserver le bon fonctionnement des milieux aquatiques et humides et de partager la ressource en eau. Quant aux projets éoliens, ils sont exclus des monts et sommets à dominante d’alpage et de forêt d’altitude ainsi que des zones de présence du Grand Tétras, un oiseau protégé.
Des initiatives multi-acteurs
Afin d’aider au développement de l’énergie photovoltaïque, la communauté de communes de la Grandvallière dans le Jura, a sollicité la chambre d’agriculture pour réaliser une étude de la potentialité des toits agricoles. «Cela a permis de localiser les toits, d’avoir une idée de leur surface, de leur orientation et de connaître les caractéristiques du réseau», explique son vice-président Christian Bruneel. Mais, pour des propriétaires de fermes isolées, le raccordement au réseau électrique et la mise en place d’un transformateur peuvent représenter un coût important. «On peut très bien envisager d’en faire un projet de territoire», poursuit l’élu. Dans ce cas, l’investissement serait à la charge de l’agriculteur, des citoyens et de la collectivité, tandis que les gains seraient partagés au prorata de l’apport de chacun. C’est le modèle des Centrales villageoises, des sociétés coopératives actives dans l’installation de toits solaires au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Alternatives aux projets menés par des opérateurs privés, ces initiatives citoyennes se multiplient partout en France. Nombre d’entre elles sont regroupées au sein du mouvement Energie partagée, qui les accompagne y compris sur le volet financier. L’association délivre son label aux projets qui reposent sur un investissement porté à 40% par des collectivités et des citoyens ainsi que sur une gouvernance partagée et qui ont des conséquences environnementales modérées et contrôlées. En outre, les territoires sont invités à investir les gains obtenus dans l’efficacité et la sobriété énergétique. Si les installations sont plutôt de taille petite ou moyenne, ce réseau ambitionne d’atteindre 15% de la production d’énergie renouvelable française à l’horizon 2030. Mais c’est surtout sa démarche qui est intéressante. «La dynamique citoyenne est déterminante pour l’acceptabilité sociale des projets», affirme Vincent Baggioni, chargé du développement territorial d’énergie partagée en région Paca. «Plus un projet est concerté, moins il a de chances d’être contesté.» Face à l’incitation de l’Etat à définir des Zaer en quelques mois, il reconnaît que «les communes sont prises de court». Mais il y voit un intérêt: «Cela oblige les collectivités à se mobiliser!»
(1) Loi n°2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.
ZAER et documents d’urbanisme
Les Zaer peuvent inclure des terrains aussi bien publics que privés. Une fois validées, elles pourront être intégrées aux documents d’urbanisme (Scot, PLU, carte communale) par modification simplifiée, de même que les zones d’exclusion. Il est par ailleurs possible de placer tout le territoire d’une commune en zone d’accélération pour un type d’énergie: photovoltaïque en toiture, réseau de chaleur...