Cadre de vie
Les cours d’eau, une opportunité pour les villes
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
«Contribuant à lutter contre les îlots de chaleur en ville, les cours d’eau sont des couloirs de ventilation mais aussi des écosystèmes réservoirs de biodiversité. La prise en compte de ces aspects est une nouvelle tendance dans les collectivités locales», explique Antoine Beyer, enseignant-chercheur à l’université de Cergy-Pontoise. Un nombre croissant de villes engagent la reconquête de cours d’eau à la fois par des fonctions logistiques mais aussi récréatives et de végétalisation. Si des métropoles telles que Paris, Lyon ou encore Strasbourg ont redonné un rôle central à leurs cours d’eau, c’est désormais aux villes moyennes (Hérouville-Saint-Clair, Mulhouse, Nancy, Roanne, Saint-Dizier...) de réaliser des aménagements (voies cyclables, équipements sportifs, renaturation écologique) afin de rendre toute la place à leurs fleuves, rivières ou canaux. Les cours d’eau sont désormais devenus une opportunité pour une ville plus durable.
Livraison bas carbone
Du point de vue de la logistique urbaine, les voies fluviales peuvent contribuer à une meilleure qualité de l’air, dans les centres urbains et les zones à faible émission (ZFE). Ainsi la ville de Strasbourg (Bas-Rhin) a créé une offre de fret pour les commerçants du centre-ville, située sur le quai des pêcheurs, tout près de la cathédrale, sur la rivière Ill. «Les marchandises (boissons, colis, farine pour les boulangers...) sont déposées sur le quai puis acheminées par vélo cargo électrique. La barge de fret ne repart pas vide et réachemine des emballages carton vers le port et une entreprise de recyclage à proximité. Nous évitons ainsi le trafic de 120 camions par jour», souligne Anne-Marie Jean, élue en charge du port. Après cette expérience probante, deux autres sites sont en cours d’aménagement pour desservir les parties nord et ouest du centre-ville de la capitale alsacienne. De façon comparable, la ville de Mulhouse (Haut-Rhin) s’est associée à Voies navigables de France (VNF), dans le cadre d’un appel à projet, pour développer un service de logistique urbaine fluviale, permettant une livraison au dernier kilomètre. Un opérateur a ainsi été désigné et ce service de livraison bas carbone sera mis en place début 2024. Le trafic quotidien par ce biais est estimé entre 3 et 10 tonnes de marchandises.
A Strasbourg, la volonté d’une utilisation maximale des cours d’eau s’étend aussi aux chantiers de construction. Dans le cadre du projet urbain Archipel 2 qui comprendra à terme 1.500 logements, un théâtre et une halle de sport, ce moyen d’approvisionner le gros et le second œuvre est notifié dans les appels d’offre. Mais les infrastructures fluviales se heurtent parfois aux aléas climatiques. Ainsi, sur le Rhin, le phénomène de basses eaux qui s’est produit à l’été 2022 a entraîné une baisse du nombre de containers transportés.
Mission fleuve
La métropole de Bordeaux (Gironde) a une volonté de reconquête de la Garonne, notamment pour le fret fluvial. En 2022, elle a mené des expérimentations pour trois filières: les matériaux de construction, les fruits et légumes en lien avec les maraîchers de Lot-et-Garonne, mais aussi la gestion des déchets, sur trois sites distincts. Pour mettre en place un circuit logistique pérenne, «nous nous heurtons aux contraintes des marées mais aussi au classement Unesco de la ville auquel il ne faut pas porter atteinte. Nous avons initié une mission fleuve afin que les acteurs se fédèrent sur ces enjeux, à savoir les collectivités de la métropole, la région, l’Etat, les acteurs associatifs économiques, VNF, le port de Bordeaux en lien avec le département du Lot-et-Garonne. Il y a une émulation qui n’existait pas avant», assure Olivier Escots, adjoint au maire de Bordeaux délégué à l’économie du fleuve. La collectivité s’emploie à trouver un modèle économique entre les marchandises qui viennent à Bordeaux, comme les produits maraîchers, et celles qui repartent, comme des biodéchets ou des déchets plastiques, pour éviter des retours à vide. Par ailleurs, la collectivité girondine a, dans le cadre du schéma directeur des équipements fluviaux, mobilisé des moyens pour développer les navettes fluviales. «A l’échéance 2025, six bateaux à propulsion électrique pouvant transporter 60 passagers constitueront une nouvelle offre de mobilité du quotidien», indique l’élu. «Plus largement, l’objectif est d’intégrer l’eau dans le tissu urbain. Cela concerne la gestion des eaux pluviales, la désimperméabilisation de certaines surfaces, la gestion des plans de prévention du risque inondation et l’aménagement des cours d’eau. Les documents d’urbanisme (Scot, PLUi) sont essentiels pour redonner toute leur place aux différents usages de l’eau», estime Christian Piel, urbaniste hydrologue de l’agence Urban water. Des projets d’aménagement intègrent désormais ces enjeux comme fil conducteur de la rénovation urbaine. C’est le cas dans le parc d’affaires d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), où l’aménageur a prévu l’accompagnement des promoteurs par un hydrologue.
Des rivières «déterrées»
Ce quartier, qui sera entièrement terminé en 2025, comprend 2.000 logements dont 25% d’habitat social, un hôtel, deux résidences étudiantes, une résidence services seniors, un groupe scolaire, un pôle commercial, des bureaux et activités. «La gestion des eaux de pluie uniquement en surface et gravitairement a été déterminée dès le plan masse. Ce parti pris a permis de réaliser des économies sur les infrastructures mais aussi d’envisager des investissements vertueux comme la transformation d’une dalle en un espace vert ou encore la végétalisation de toitures pour de l’agriculture urbaine», détaille Thomas Lecœur, directeur de programmes chez Eiffage Immobilier.
L’ambition écologique de ce projet d’aménagement a bénéficié de l’appui de l’agence de l’eau et des financements européens (Feder). Longtemps, l’eau n’était plus au cœur des projets d’aménagement. Mais, à l’heure du changement climatique, elle reprend toute sa place. Aujourd’hui, des tronçons de rivière jusque-là enterrés sont rouverts, comme la Bièvre à L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne). «Mais il y a des besoins de réacculturation des habitants, qui ont perdu la conscience de l’eau et du risque. Il faut faire comprendre qu’ouvrir un cours d’eau n’augmente pas le risque d’inondation et permet de lutter contre la stagnation de l’eau», témoigne Eric Chanal, directeur général du syndicat mixte pour l’aménagement hydraulique des vallées du Croult et du Petit Rosne (Val-d’Oise).
A Hérouville-Saint-Clair, un projet urbain entièrement conçu autour de l’eau
Sur 20ha, la ville d’Hérouville-Saint-Clair (Calvados) a initié une opération d’aménagement sur quatre îles, jusque-là méconnues de la population, dont une comptait une importante friche industrielle avec des «spots» de pollution, du béton, de la ferraille et des sédiments. L’objectif de ce vaste projet est de reconnecter le centre-ville, à l’Orne et au canal de Caen à la mer, par le paysage, l’eau et la biodiversité.
«Ce nouveau quartier comprendra, à échéance 2035, 1.300 logements, des commerces de proximité, un hôtel, des locaux artisanaux. Il est entièrement conçu autour de l’eau. Dans chaque île sont prévus des espaces de détente mais aussi des jardins d’eau réservés à la faune et la flore», souligne Ghislaine Ribalta, maire-adjointe en charge de l’urbanisme et de l’aménagement urbain.
La ville a aussi engagé un travail de fertilisation des sols et de trame noire sur une mare naturelle, pour faire revenir certaines espèces disparues.