Sobriété foncière
Vivre ensemble, mais chacun chez soi
ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE
Après de nombreuses recherches, Camille De la Barrière et Mélanie Labesse, deux amies en quête d’un bien immobilier, ont finalement trouvé une maison avec laquelle elles ont pu concrétiser leur projet: vivre chacune dans son propre logement. Cécile Maury, responsable du pôle copropriété au cabinet de géomètres-experts Yantris, situé à Toulouse, a travaillé sur ce dossier: «Il s’agissait de la mise en copropriété d’une maison des années 1970, quartier Borderouge à Toulouse, avec un étage pour chaque copropriétaire, soit deux logements de 90m2 environ chacun et des espaces à partager. La particularité de ce dossier tient dans le profil des clientes, que nous ne rencontrons pas souvent. En effet, ce sont des amies, deux femmes seules avec enfants, qui ont acheté ce bien pour cohabiter». Comment les acteurs impliqués – notaire, géomètre-expert et copropriétaires – ont-ils travaillé ensemble pour mener à bien cette opération de division du bâti existant? Quels types de contraintes spécifiques ont pu apparaître par rapport à une opération classique?
Favoriser une relation apaisée
«Ce projet a demandé un peu plus de temps, car, pour que le dossier soit monté et transmis à la banque, il faut l’intervention du géomètre-expert. Il a aussi fallu faire de la pédagogie en direction de la personne qui vendait le bien par l’intermédiaire de son notaire. Ce projet a nécessité deux ventes distinctes et surtout que les deux dossiers de prêts soient acceptés, car les acquéreurs ont souhaité lier leurs promesses de vente de manière à faire (ou à ne pas faire) l’opération ensemble. En cas de refus de la banque pour un seul acquéreur, c’est l’ensemble du projet qui tombait à l’eau», souligne Paul Arnaud, notaire pour les deux copropriétaires. Le prix du bien a été ventilé par rapport aux surfaces, mais sans aucune influence sur la transaction globale. La répartition des espaces extérieurs, du cellier et des combles a constitué un enjeu majeur pour maintenir une relation harmonieuse entre les deux propriétaires. «Elles nous ont demandé de détailler les différents espaces, pour un calcul de partage très précis (le calcul final des quotes-parts devait aboutir à une répartition équitable à 50-50). Même si elles s’entendent très bien aujourd’hui, elles se projettent dans l’avenir en cas de vente à une tierce personne. Elles ont aussi anticipé au maximum leur quotidien, comme la fréquentation du jardin, l’accès aux combles...», observe Cécile Maury qui, comme Paul Arnaud, souligne «une réelle montée en compétence des deux femmes, au fil du projet». Pour les espaces extérieurs, hormis les lots privatifs de stationnement, la partie devant la maison est considérée comme commune. Le jardin à l’arrière a été divisé en deux, même si dans les faits celui-ci est aujourd’hui sans barrière et utilisé par les deux familles en raison du lien d’amitié liant les deux copropriétaires. L’ensemble de ces données est acté dans l’état descriptif de division, le règlement de copropriété, les plans de niveaux et le diagnostic technique global sur les parties communes, qui ont été financés par les copropriétaires. Mais le diable se cachant dans les détails, il y a parfois un impondérable. «Les conduits de gaz étant tellement imbriqués, il n’y a qu’un seul compteur et de fait pas de facture différenciée. Nous devons ainsi faire des calculs entre nous», pointe Camille De la Barrière.
Une densification réalisée dans les règles de l’art
Une des clés de la réussite de cette mise en copropriété tient aussi dans le dialogue constant entre les parties prenantes. «Il est important pour les clients qu’on aille tous dans le même sens. Le dialogue avec le géomètre-expert est important, car ce dernier connaît parfaitement les lieux», estime Paul Arnaud. Un aspect que confirme l’urbaniste Emeline Fontas, qui a travaillé sur le sujet dans le cadre de l’étude «Faire de la densification», une convention de recherche entre le bureau d’études Iudo (spécialisé dans la densification douce), et la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (Dgaln). Dans le cadre de l’opération, elle a réalisé des entretiens avec les géomètres-experts du cabinet Yantris et les propriétaires, «pour étudier les motivations et les freins des porteurs de projet non professionnels en densification». «J’ai été témoin de l’importance de ce travail d’équipe, explique-t-elle. Il existe des outils, comme les servitudes de droit privé, permettant de traduire juridiquement les situations de fait découlant de la division de maisons autrefois individuelles. Par exemple, une servitude de passage sur un lot privatif permet l’accès à un compteur, une canalisation ou autre. Il est nécessaire que tous les acteurs soient formés aux spécificités de ces projets, afin que la densification soit réalisée dans les règles de l’art.» En effet, dans une perspective de sobriété foncière, une montée en compétence de tous les acteurs de l’aménagement semble plus que jamais nécessaire. Agents immobiliers, notaires, géomètres-experts, urbanistes vont désormais devoir être parfaitement à jour sur ces nouveaux enjeux. Emeline Fontas l’a elle-même expérimenté: «J’ai pu observer les revers d’une densification mal réalisée lorsque j’ai travaillé pour un administrateur judiciaire de copropriétés en difficulté. J’ai par exemple pu constater qu’il y avait des copropriétés non déclarées, qui ne bénéficient donc pas du cadrage juridique précédemment évoqué. Cela peut engendrer des litiges divers, une surcharge des canalisations, une annexion de parties considérées comme étant communes par l’un des copropriétaires...», détaille-t-elle. Pour cette urbaniste, «le géomètre-expert endosse un rôle clé dans la densification douce des territoires urbains à travers divers types d’interventions comme les mises en copropriétés de maisons individuelles. La division de l’existant par mise en copropriété présente l’avantage de créer des logements sans artificialiser. Les surfaces bâties sont astucieusement redistribuées au gré des besoins des nouveaux copropriétaires».
TÉMOIGNAGE
«Ne pas être prisonnières de ce projet»
Camille De la Barrière, copropriétaire
«Au départ, je devais vendre mon bien à mon amie Mélanie. Puis, avec elle et deux autres amies, nous avons activement recherché une maison qui puisse être ensuite divisée en quatre logements. Faute de succès, nous avons décidé de chercher une maison qui pourrait accueillir Mélanie, moi-même et nos enfants dans deux appartements distincts. Nous avons trouvé ce pavillon où deux appartements existaient déjà et travaillé avec le cabinet de géomètres-experts et le notaire pour en faire une copropriété. Nous étions enthousiastes face à ce projet, mais nous nous sommes rendu compte que nous devions gérer beaucoup d’aspects: à qui appartient cette partie du jardin? Cet espace est-il une partie commune ou pas? Comment faire, car l’une d’entre nous a une surface plus petite pour qu’elle puisse avoir le même nombre de tantièmes, pour éviter qu’un propriétaire ait plus de pouvoir que l’autre? Nous avons anticipé toutes ces questions afin de ne pas être prisonnières du projet, surtout si l’une de nous venait à vendre son bien.»