Entretien
« Etre expert de justice n’est pas un métier, c’est une passion »

Vous venez de prendre la tête du CNCEJ. Comment accueillez-vous cette charge?
Guillaume Llorca: Je ressens d’abord une immense fierté d’avoir été reconnu par mes pairs experts de justice. C’est très flatteur, mais la réalité nous rattrape vite. Et cette réalité, c’est la responsabilité. Les enjeux sont très importants pour les experts de justice et, plus largement, pour les droits de la défense et du citoyen, les droits du justiciable. Je réalise qu’il faut être à la hauteur afin que chacun des acteurs qui m’a fait confiance [Guillaume Llorca a été élu avec 293 voix sur 300, Ndlr], puisse être fier du travail que j’aurai accompli d’ici deux ans.
Les attentes ne sont pas uniquement internes?
G.L.: Non, bien sûr. Nous sommes une association d’intérêt public inscrite dans une logique de service du citoyen. Nous devons répondre aux attentes du monde de la justice: la Chancellerie, le Conseil d’Etat, mais aussi le Conseil national des barreaux, avec lequel nous avons une relation très forte. Nous devons également être proches des associations de médiation, de conciliation et plus largement du justiciable, qui peut être l’un de nous à tout moment.
Quels sont les sujets que vous avez envie de promouvoir en tant que géomètre-expert?
G.L.: Mon prédécesseur était le directeur de l’Institut médico-légal de Paris, je suis géomètre-expert: chacun vient avec son approche. Je viens d’une petite profession alors qu’aujourd’hui je suis à la tête de 10.381 experts de justice. Mais cette petite profession est extrêmement bien structurée et fait preuve d’une unité assez incroyable. Notre niveau d’organisation est absolument phénoménal pour notre taille, avec des gens qui s’investissent, des commissions très actives. Nous avons un ordre extrêmement bien géré, qui s’inscrit dans une tradition où personne ne détricote le travail du prédécesseur. C’est un modèle dont on peut sans doute s’inspirer.
Comment évaluez-vous l’état de l’expertise en France?
G.L.: Il est globalement satisfaisant, avec des experts très actifs dans quasiment tous les métiers. Cela dit, les situations varient: il y a des catégories professionnelles bien pourvues, comme les experts-comptables ou les géomètres-experts, alors que d’autres – architectes, spécialistes du bâtiment dans certains corps d’Etat ou médecine psychiatrique – sont en souffrance. Etre expert de justice n’est pas un métier, mais une passion. Chaque professionnel, s’il estime qu’il en a la qualité, peut poser son dossier de candidature.
Quels sont les sujets brûlants qui vous attendent?
G.L.: Nous nous intéressons de près à l’intelligence artificielle, à laquelle nous consacrons un colloque international le 19 juin prochain sur le thème de l’usage opérationnel dans l’expertise judiciaire. L’idée étant de savoir comment on peut utiliser l’IA et quels sont ses dangers. On peut aujourd’hui avoir affaire à des photos complètement falsifiées, des plans ou des textes retouchés par de l’IA…
A quoi ressemblerait pour vous un bilan positif?
G.L.: D’abord, avoir réussi à maintenir l’unité entre les experts de tous horizons. Nous avons aussi un comité qui réfléchit à nos règles déontologiques, déjà très pointues et d’ailleurs assez proches de nos règles ordinales à nous, géomètres-experts, en matière de formation ou d’éthique. C’est une priorité. J’ai eu un prédécesseur dans les années 1939 à 1951, Paul Danger, géomètre-expert, dont le cheval de bataille était déjà les règles déontologiques. Comme quoi, il y a une forme de continuité chez les représentants de la profession…