Des « raisons d’être » pour les géomètres-experts
En modifiant le Code civil en 2019, le Parlement a institué la possibilité pour une entreprise d’indiquer dans ses statuts l’existence d’une «raison d’être», «constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité». Cela signifie qu’en matière environnementale ou sociale, les entreprises «peuvent avoir un autre projet qu’un projet économique, qu’elles peuvent revendiquer une autre ambition», observe Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’études politiques de Paris. Une révolution qui peut également s’appliquer aux collectivités, aux institutions voire aux ordres professionnels. C’est d’ailleurs le choix qu’a fait l’Ordre des géomètres-experts, poussant même le curseur jusqu’à doter à la fois l’Ordre et la profession de deux raisons d’être distinctes et néanmoins complémentaires (lire ci-dessous).
Ces deux textes fondateurs ont été présentés officiellement le 6 novembre dernier, à l’occasion des premières Assises ordinales de la profession. Pour les rédiger, les responsables de l’Ordre se sont adjoint les services de Marie-Anne Frison-Roche, qui les a conseillés en suivant un précepte simple: «au-delà des exigences du marché et du nécessaire équilibre économique, la raison d’être peut permettre à l’entreprise (ou à l’entité qui s’en dote) de s’inscrire dans un autre futur, pour elle-même mais aussi dans un cadre plus large». L’initiative a séduit Christophe Suchel, adjoint à la sous-directrice de l’aménagement durable / DHUP et représentant du ministère de tutelle de la profession: «Cette démarche, a-t-il estimé, est la preuve du dynamisme de votre profession et vous inscrit dans la perspective d’un changement de paradigme concernant la question foncière, qui vous place aujourd’hui au cœur des enjeux climatiques, environnementaux et de sobriété foncière».
«Ce qui compte, a confirmé Luc Lanoy, premier vice-président de l’Ordre, c’est ce que nous voulons transmettre, défendre et devenir.» Avec ces deux textes fondateurs, les géomètres-experts engagent également leur responsabilité. «Une raison d’être, a rappelé Marie-Anne Frison-Roche, ce ne sont pas des paroles en l’air. Ces textes s’adressent aussi à des tiers, qui peuvent un jour être en droit d’en attendre quelque chose sur le plan juridique.» Raison pour laquelle, a-t-elle insisté, «ces textes vont avoir des effets sur les pratiques et la trajectoire de vos entreprises et de la profession».
Raison d’être de l’Ordre des géomètres-experts
«L’Ordre des géomètres-experts réunit tous les membres habilités à exercer la profession, dont il assure la représentation, le développement stratégique, et la pérennité. Autorité de supervision, il édicte des normes et veille au respect des règles déontologiques, des standards techniques et juridiques, ainsi qu’à la qualité des prestations fournies. Interlocuteur privilégié des partenaires publics et privés, l’Ordre fait vivre la raison d’être de la profession dans la société. Il œuvre à la prise en compte des enjeux climatiques, environnementaux, économiques, et sociétaux.»
Raisons d’être de la profession
«Par son impartialité, sa rigueur, la diversité de ses expertises, le géomètre-expert garantit l’exactitude de la mesure des espaces et de la limite des propriétés. Il prend part à la sécurisation du système foncier, de la propriété, et du logement. Il contribue à un aménagement durable des territoires, et à la conception de cadres de vie harmonieux. Le géomètre-expert est ainsi un acteur de paix sociale.»
«Le reflet de ce que nous sommes»
Entretien avec Séverine Vernet, présidente de l’Ordre des géomètres-experts.
Vous venez de dévoiler les raisons d’être de l’Ordre et de la profession. Quel est votre regard sur cette démarche?
Séverine Vernet: Nous nous étions posé plusieurs questions: «Quelle place pour le géomètre-expert et pour notre institution face aux transitions environnementales et sociétales? Quel rôle devons-nous jouer et comment contribuer, de manière concrète, aux réponses que la société attend?» En énonçant publiquement nos raisons d’être, en présence de nos confrères, nous avons eu nos réponses, ainsi que la confirmation que ces deux raisons d’être reflétaient exactement ce que nous sommes, ainsi que les valeurs que nous défendons.
Comment cette étape s’inscrit-elle dans l’optique de la compliance?
S.V.: Les raisons d’être constituent la première étape de la mise en œuvre du droit de la compliance. Il s’agit de déterminer les règles qui doivent nous guider en amont, de travailler sur les méthodes concrètes liées à la compliance. Par exemple, quand on dit «le géomètre-expert garantit l’exactitude de la mesure des espaces et de la limite des propriétés», la compliance implique que le professionnel puisse faire en sorte de garantir en amont ces engagements, à travers une méthode définie et encadrée.
Comment diffuser ce message auprès de l’ensemble de la profession?
S.V.: Par nos voies de communication habituelles, mais aussi par le biais des Assises ordinales que nous avons organisées pour la première fois. Je suis évidemment consciente du fait que ce changement demandera du temps pour être adopté. Mais je suis convaincue que ce moment d’échange intense que nous avons eu avec la quasi-totalité des élus des conseils régionaux permettra de faire passer le message auprès des confrères, de faire œuvre de pédagogie.
Quel regard portez-vous justement sur ces premières Assises ordinales?
S.V.: L’objectif était de consolider le lien entre le Conseil supérieur et les conseils régionaux. Auparavant, il revenait exclusivement aux présidents de région d’assurer ce retour, ce qui s’ajoutait à la charge déjà lourde au sein de leur région et aussi, mécaniquement, une simplification de ce message, avec deux conséquences. Au niveau national, cela pouvait être frustrant de constater que certaines décisions n’étaient pas très bien comprises. Dans les régions, la méconnaissance de notre fonctionnement pouvait elle aussi être source de frustration, d’incompréhension. Les retours que j’ai eus font clairement apparaître que ce moment d’échange répondait à un besoin des deux côtés.
Qu’en est-il ressorti?
S.V.: D’abord une vraie fluidité dans nos échanges. Ensuite, plus concrètement, 340 propositions sont remontées de nos ateliers. Elles vont maintenant être triées, priorisées puis inscrites dans un projet, avec un budget affecté et des délais à tenir. Ce «mode projet» dans lequel nous nous inscrivons désormais, alimenté par les Assises, servira de trame au nouveau plan stratégique que nous présenterons au mois de janvier.

