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Avis d’expert
«Copropriétés: le gigantisme est une source de défaillance»

Après avoir constaté les lenteurs du «plan initiative copropriétés» lancé en 2018, le gouvernement porte un nouveau projet de loi sur l’habitat dégradé. En cours d’examen au Parlement, le texte pourrait chambouler le traitement des copropriétés dégradées. Le point avec Pierre-Edouard Lagraulet, avocat associé au cabinet Lagraulet De Plater, praticien du droit immobilier.
Propos recueillis par Caroline Reinhart | Le mardi 19 mars 2024
© O. Rochard

ARTICLE EN ACCÈS LIBRE JUSQU'AU 15 OCTOBRE

Comment intervient le géomètre-expert dans le cadre des copropriétés dégradées? 
Edouard Lagraulet: De plusieurs façons. On peut avoir besoin de lui pour des litiges en cours dans les règles de répartition des charges. L’article 5 de la loi fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis du 10 juillet 1965 prévoit que la quote-part des parties communes afférente à chaque lot est proportionnelle à la valeur relative de chaque partie privative par rapport à l’ensemble des valeurs de ces parties. Le géomètre-expert peut ainsi intervenir pour vérifier que les charges établies en fonction des tantièmes attribués à chaque lot sont bien réparties. On peut également faire appel à lui dans le cadre de scissions d’ensembles immobiliers importants afin de préparer les documents afférents (retrait de lots après scission, modification et adaptation du règlement de copropriété en conséquence). Très classiquement, il est aussi chargé du bornage et du respect des règles de mitoyenneté. De façon plus atypique, on peut faire appel à un géomètre-expert dans le cadre d’ensembles immobiliers complexes afin de rechercher des réseaux enterrés à l’aide de ses scanners 3D, pour ensuite en dresser les plans. 

Le gouvernement a lancé un «plan initiative copropriétés» (PIC) en 2018 et a retouché, la même année, la loi copropriété de 1965 via la loi Elan. Avez-vous observé un changement dans votre pratique?
E.L.: Au regard du droit de la copropriété, les outils de l’Anah ne font pas évoluer la règle applicable fixée par la loi du 10 juillet 1965. Ce qui change, ce sont les outils que les collectivités territoriales peuvent mettre en œuvre afin de répondre aux difficultés de certaines copropriétés (procédures d’expropriation, etc.). La question relevant du géomètre-expert reste celle de la qualification juridique et de la répartition entre partie commune et partie privative. 


Pierre-Edouard Lagraulet
«En complément de l’éco-PTZ, le prêt collectif peut être intéressant pour faciliter les opérations de rénovation. Le texte fait passer ses règles de vote en assemblée générale de l’unanimité à la majorité.»



Compte tenu des lenteurs observées dans le déploiement du PIC, le gouvernement porte un nouveau projet de loi sur l’habitat dégradé (1), en cours d’examen au Parlement. Que pensez-vous de ses principales mesures (2), en l’état actuel du texte (soit avant son examen au Sénat – Ndlr)? 
E.L.: En complément de l’éco-PTZ, le prêt collectif peut être intéressant pour faciliter les opérations de rénovation. Le texte fait passer ses règles de vote en assemblée générale de l’unanimité à la majorité. Concernant le syndic d’intérêt collectif, j’ai un doute sur la rédaction du texte. Il est prévu que cette nouvelle catégorie de syndic constitué sur agrément du préfet a vocation à intervenir sans mandat ad hoc, c’est-à-dire sans mettre fin au mandat syndical. Un problème rédactionnel sans doute, qui devra être corrigé. Par ailleurs, le texte prévoit que le maire pourra participer à l’assemblée générale des copropriétaires en cas d’habitat indigne et d’arrêté de péril. Ce dispositif serait novateur: un tiers ne peut, pour l’heure, participer à l’assemblée générale à peine de nullité. Mais il risque de ne pas trouver d’application concrète: lorsque tous les pouvoirs sont donnés à l’administrateur judiciaire, il n’y a plus d’assemblée générale, sauf pour les décisions les plus graves qui ne relèvent pas des travaux visant à mettre fin à un péril. Dès lors, les cas où la présence du maire serait utile ne paraissent pas évident.

Le texte prévoit également de faciliter les scissions des grands ensembles, sources majeures de difficultés. Qu’en pensez-vous?
E.L.: Le gigantisme est une source de défaillance. Lorsqu’il y a administration judiciaire, complexité juridique ou technique, il faut pouvoir diviser. Le texte en cours d’examen le permet par la désignation d’un expert pour diviser le syndicat, puis par la création de syndicats secondaires autorisée par le juge. Cette mesure qui permet une restructuration juridique de la copropriété était souhaitée par tous les acteurs. Mais le texte prévoit que ce redécoupage de la propriété pourrait aller jusqu’à la dissolution de l’association syndicale! Nous verrons ce qu’en dira le Conseil constitutionnel, mais cela semble aller un peu loin. Autre mesure surprenante: pour renforcer l’arsenal de lutte contre les marchands de sommeil, le texte se fonde sur une notion curieuse de «profit anormal» des syndics. La moralité et le droit ne font pas toujours bon ménage...  

(1) Projet de loi n°1984 relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement.
(2) Prêt d’intérêt collectif, syndicat collectif, intervention du maire en assemblée générale, notamment.